Crimée: La Riviera des tsars
Au sud de l’Ukraine, bordée par la mer Noire, la Crimée est aujourd’hui le rendez-vous des vacanciers ukrainiens et russes. Pour les Européens, les attraits seraient d’abord culturels. Sites archéologiques, contacts avec les communautés ethniques, mémoire des invasions et illustres batailles, art religieux orthodoxe: le choix est vaste.
Après le régime soviétique, la Crimée a subi de plein fouet le phénomène de l’après-communisme, soit une période de forte récession. Aujourd’hui, l’adaptation à l’économie de marché s’installe et celle qu’on appelle la Riviera ukrainienne se métamorphose. Mis à part l’aspect balnéaire qui ne serait pas prêt à convaincre les Occidentaux autrement qu’en tant que point d’orgue à un circuit, cette péninsule en forme de feuille de vigne coincée entre la mer Noire et la mer d’Azov offre une passionnante variété de découvertes et d’activités. Elle pourrait séduire plus d’un amateur s’intéressant à l’histoire, l’archéologie, les sports (notamment l’escalade) et l’art religieux. Le gouvernement ukrainien trouve aujourd’hui des finances pour reconstruire basiliques et cathédrales, ce qui n’était pas le cas quelques années après la chute du rideau de fer. Actuellement, plusieurs de ces édifices sont à nouveau debout et les iconostases et les architectures ont été restaurées à la perfection grâce à des documents et d’anciennes photos prises avant la Seconde Guerre mondiale. Il n’est pas rare de trouver dans la plupart des édifices religieux des photos de basiliques en ruines ou ayant été, au temps du communisme, destinées à des écuries, des musées et d’autres encore, bien éloignées de leurs affectation d’origine.
La fontaine des pleurs
Bien qu’habilement copiée ailleurs, cette fontaine du palais des Khans de Bakhtchisaray est une splendeur. Elle aurait été ordonnée par Kirym-Guirei-Khan qui ne put se consoler du décès d’une de ses captives, dont il était éperdument amoureux. C’était une noble polonaise d’une grande beauté qui mourut probablement empoisonnée par une rivale. Fou de douleur, le Khan commanda alors à son architecte iranien une fontaine qui fasse que la pierre pleure. Plus tard, Pouchkine écrivit un poème qui devint un opéra et un ballet universellement célèbres sous le nom de «Fontaine de Bakhtchisaray».
Les gars de la marine
La lutte contre les Turcs a toujours été une préoccupation pour la couronne russe. Avec ou sans l’aide des Cosaques, les Russes ont sans cesse dû faire barrage avec plus ou moins de succès aux invasions turques. C’est la raison pour laquelle Catherine II («la Grande Catherine») décida de doter Sébastopol d’une importante flotte de guerre. Si, aujourd’hui, les Turcs ne représentent plus un danger, Sébastopol demeure la principale base de la marine de guerre de l’Ukraine et celle du sud pour la Russie. Aujourd’hui, la marine russe paie un substantiel loyer d’amarrage à l’Ukraine pour faire accoster ses navires de guerre dans plusieurs des nombreuses baies qui s’échelonnent de part et d’autre de la ville.
Sébastopol ne fut guère épargnée par les guerres, précisément en raison de son port de guerre mais aussi en raison de sa position géographique aux premières loges des invasions venant du sud et de l’ouest. S’il est une guerre qui figure en première place des manuels d’histoire, c’est celle de la guerre de Crimée au temps du Second Empire napoléonien, laquelle fit état de gigantesques pertes humaines, tant du côté russe que du côté des Alliés (France, Grande-Bretagne, Turquie et Sardaigne). A Sébastopol, une extraordinaire peinture panoramique (360°), œuvre de l’artiste François Roubaud, illustre d’une manière saisissante, sans épargner les détails, l’une des batailles les plus meurtrières que fut la prise de la tour de Malakoff. Signe ostentatoire de la fonction militaire de Sébastopol: la statue dédiée aux combattants de la Seconde Guerre mondiale et le musée naval de l’Ukraine du fort Michel grâce au mécène Alexis Sheremetiev, inauguré en 2010.
Il faut déambuler le long du quai du Comte, bordé de maisons de style néoclassique grec le long du front de mer et admirer la rade de Sébastopol où fut sabordée, en 1855, une flotte de 12 bateaux dans le but d’empêcher son entrée à la flotte des Alliés lors de la guerre de Crimée, ainsi que d’utiliser les quelques 120 canons pour renforcer la force de feu contre l’ennemi.
On pourrait encore citer beaucoup d’autres sites, tant s’additionnent les vestiges des nombreuses guerres que connut Sébastopol, mais il en est un qui se trouve à quelques encablures de là: le village maritime de Balaklava. Le clou de sa visite est l’ancienne base des sous-marins soviétiques bâtie pendant la Seconde Guerre mondiale. Certes, ce bourg bien protégé des intempéries, niché au fond d’une crique, possède des ruines de tours médiévales, mais le phénomène le plus marquant est sa transformation en petit «Saint-Tropez» ukrainien avec, peu à peu, des datchas luxueuses qui se construisent à flanc de colline et un alignement de yachts qui ne cache rien de la fortune des résidents.
Chersonèse
La Crimée n’a, on s’en doute, pas échappé aux civilisations et autres envahisseurs qui sillonnaient la méditerranée et la Mésopotamie au cours de l’Antiquité. Chersonèse en est un bel exemple archéologique au Raïon Gagarine de Sébastopol. Cette ancienne ville fut fondée par les exilés grecs d’Héraclée du Pont. Les écoliers de Sébastopol et leur maîtres y viennent volontiers faire des rétrospectives historiques. Sur ce site se dresse la cathédrale Saint-Vladimir, presque entièrement reconstruite après avoir été rasée par l’armée allemande. Une énorme cloche façonnée avec la fonte des canons pris à l’ennemi turc pendant la guerre de Crimée trône sur la colline dominant la mer.
Les résidences d’été
Aujourd’hui, Yalta ressemblerait à une ville de la Riviera française ou italienne, avec sa grande promenade le long de la mer Noire, lieu de tous les amusements pour enfants, au départ de laquelle une statue de Lénine fait face à un marchand de hamburgers bien connu. Le climat particulièrement doux de cette partie sud de l’Ukraine a jadis attiré les tsars et leurs familles, qui n’hésitaient pas à venir de Saint-Pétersbourg, d’abord en troïka, puis en train de luxe, puis, enfin, en automobiles des premiers temps. La cour, bien entendu, les suivait, mais aussi les poètes et musiciens célèbres, tel Pouchkine, Sergueï Rachmaninov ou encore Anton Tchekhov (qui appelait Yalta sa Sibérie chaude), dont le théâtre portant son nom vient d’être entièrement aménagé, et Tolstoï, qui participa à la guerre de Crimée. Mais Yalta demeure aussi célèbre pour ses palais et, en premier lieu, celui de Livadia qui fut la principale résidence d’été des Romanov. Pendant la période bolchévique, Lénine la transforma en maison de cure pour les ouvriers et les soldats. Mais c’est surtout là où furent signés les accords de Yalta, suite à la Seconde Guerre mondiale, et là où fut logé Roosevelt. Churchill s’installa, sur sa propre insistance, dans le palais d’Alupka, ancienne demeure du comte Vorontsov, qui offre une architecture un peu kitch, mais insolite, avec son imitation Tudor d’un côté et moghol de l’autre, et son célèbre escalier gardé par des lions. Churchill aura voulu qu’on lui fasse cadeau de la statue d’un de ces lions, mais Staline refusa avec diplomatie.
Une autre résidence des tsars, moins somptueuse mais plus cosy, est le palais de Massandra, également ancienne résidence des tsars au début du 20e siècle. Une curiosité de la côte proche de Yalta est le «Nid d’hirondelles», un château rappelant les tours portugaises de l’Estoril. Bâti sur la falaise de l’Aurore, il surplombe la mer d’une quarantaine de mètres de hauteur et constitue un autre symbole pour les habitants de la Crimée.
Les descendants de Gengis Khan
La communauté tatare de la Crimée représente le quart de la population et occupe une large bande de terre d’est en ouest. Ce sont les descendants des hordes dirigées par le célèbre Gengis Khan, lesquels, d’essence paysanne, ont occupé les riches terres de la steppe pour les cultiver. Lors de la Seconde Guerre mondiale, ils furent accusés par Staline d’avoir collaboré avec les Allemands et furent déportés en masse vers l’Ouzbékistan. Il fallut Gorbatchev pour qu’ils puissent réintégrer la Crimée. Tous ne sont pas physiquement typés (p.ex. avec des yeux bridés), et il serait parfois difficile de les distinguer des autres Ukrainiens, s’ils ne portaient pas la traditionnelle calotte (hommes et femmes). Bakhchysarai est l’épicentre de leur territoire avec ses vieux quartiers aux maisons en bois peint. C’est là que trône le palais des Khans, qui régnèrent pendant 350 ans et parmi laquelle figure la dynastie des Guirei dont le célèbre Kirym-Gurei-Khan.
Ce somptueux palais a partiellement échappé au saccage des Soviétiques et représente l’un des passages obligés de toute visite de la Crimée. C’est aujourd’hui une aubaine de pouvoir en admirer les arabesques, les mosaïques, le harem, etc.
Non loin de là se trouve le monastère de l’Assomption de style byzantin à ciel ouvert et à flanc de falaise au fond d’une reculée. Celui-ci a vécu bien des péripéties avec sa destruction par les envahisseurs et sa fermeture pendant le soviétisme, mais il a été totalement retapé selon les plans d’origine.
Au temps des Génois
Le long de la côte en direction de l’est se trouve la station balnéaire de Soudak, qui n’aurait qu’un intérêt relatif si elle n’était dominée par l’une des plus impressionnantes fortifications genouesska (génoise), occupée autrefois par les conquérants italiens, qui dominèrent la région au 14e et au 15e siècle, tout en mettant un point d’honneur à demeurer en bons termes avec la population autochtone, de quelle confession qu’elle fut. Plus à l’ouest encore se trouve Feodossia, station balnéaire, elle aussi dotée d’une place forte génoise; elle est toutefois plus familiale que, par exemple, Balaklava, et se distingue notamment par sa gare de chemin de fer toujours en activité, tout en ayant gardé son cachet de petite station de province tsarine. La région héberge une importante communauté arménienne, ce qui lui vaut de superbes édifices religieux moyenâgeux comme, par exemple à Stary Krym, le monastère en activité de Sourb-Khatch.
Texte Erika Bodmer, photos Gérard Blanc
Infos pratiques
Ce voyage a été réalisé avec la collaboration de l’agence Kira Voyages, spécialiste des voyages dans les pays de l’Est – +41 56 200 19 01.
Vol
Genève-Kiev-Simferopol avec Ukraine Air International
Activités
La Crimée entend, comme tous les pays à vocation touristique, mettre en avant ses multiples atouts balnéaires, gastronomiques, culturels et sportifs. La culture est, de loin, le sujet le plus attractif, suivie par les activités sportives, avec les randonnées pédestres ou équestres, le parapente, mais. Surtout la varappe. La Crimée possède en effet plusieurs sites d’escalade dont le défi face à la difficulté serait mondialement connu des spécialistes. Les plongeurs aimant visiter les épaves seront comblés dans cet environnement qui fut riche en combats navals.
Les vins de Crimée
La Crimée est viticole de longue date en raison de son climat favorable, mais, dans les premiers temps, pour le raisin de table. Aujourd’hui, le commerce du vin est florissant, mais ce sont principalement deux grands chais qui assurent la vinification en s’adressant à des coopératives de viticulteurs: les domaines d’Inkerman pour le vin de table et de Massandra pour les vins liquoreux. Ce dernier établissement avait jadis été créé par le tsar Nicolas II, qui adorait le porto et souhaitait en produire chez lui. Un vin à recommander: le «7e ciel du prince Golitcyne» (tout un programme).
La chambre
Best Western à Sébastopol, Bristol à Yalta, chambre d’hôte Abramianà Feodossia.
Le couvert
Le Paris à Sébastopol, le Balaklava à Balaklava, le Khan Guireyà Bakhtchisaray, le Tchekhov au théâtre Tchekhov de Yalta, l’Elena, face au «Nid d’hirondelles», la table d’hôte de la famille Abramian à Feodossia.