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JE PARS À LA RENCONTRE

Le peuple de Mumbai

Avec ses 19 millions d’habitants, Mumbai, la capitale des affaires de l’Inde, dépasse de deux millions la population de la capitale administrative New Delhi. Une fourmilière d’êtres humains, et, comme telle, très organisée.

Peut-être ne le savez-vous pas, mais le véritable nom de celle que les Anglais appelaient Bombay a repris son nom d’origine qui est Mumbai (provenant de la contraction de Mumba et de Aai, la déesse mère). On peut décrire en long et en large les monuments et l’histoire de cette ville passionnante, à n’en point douter, mais il est une chose primordiale à côté de laquelle il vous sera impossible de rester indifférent: ses habitants, leurs coutumes, leurs modes de vie.

Le Petit Gange
Huit heures du matin: un bassin carré autour duquel ont été aménagés de larges escaliers descendant vers une eau douce sacrée: c’est le «Ban ganga», le Petit Gange. Plusieurs petits groupes se forment, chacun ayant un gourou en son centre. En restant discret et respectueux des rites, on peut toutefois s’approcher. En haut des marches, un barbier rase le crâne d’un fidèle dévot. Celui-ci se dirigera plus tard vers son gourou approprié, un vieillard au visage buriné, à la barbe hirsute, aux cheveux cendré, au front orné d’un symbole et à l’écharpe orange. Il est assis en tailleur devant un petit tapis sur lequel trônent des fioles, des fleurs et des boulettes blanches. Le gourou a pris en main un carnet, sorte de manuel qui lui servira à guider les prières du croyant selon ses aspirations. Plus loin, d’autres gourous, jeunes et vieux, siègent.

Elephanta le retour aux sources de l'hindouisme

L’île sacrée
S’il est une excursion qui attire les Indiens en masse, de Mumbai ou d’ailleurs, c’est bien celle qui mène à Elephanta, une île se trouvant à environ une heure de ferry depuis le port jouxtant la célèbre Porte de l’Inde, par là où le Mahatma Ghandi a pris le bateau pour l’Angleterre pour négocier l’indépendance. Vous ne trouverez pas d’éléphant sur Elephanta mais d’intéressantes cavernes, où il faudra un bon guide pour vous expliquer les implications mystiques des statues et des vestiges rupestres datant des VIe et VIIe siècle et dédiées aux dieux hindous en général, et à Shiva en particulier.
L’attraction sera aussi celle de grimper jusqu’aux cavernes au milieu d’un tunnel de tentes bleues en compagnie de smalas indiennes représentant à elles seules une attraction. L’autre clou du voyage sera les singes des ruines mais attention, n’ayez avec vous ni paquet de popcorn ni coca cola. Ces malines créatures auront vite fait de vous les arracher et de se taper la cloche devant vous en sachant parfaitement comment ouvrir un cornet en plastic ou comment dévisser le bouchon d’une bouteille de soda. La fin du spectacle sera au retour dans l’un des nombreux ferries qui assurent la liaison entre le continent et l’île. Il arrive que les capitaines de ces bateaux se sentent une âme de pirate et se battent pour qui arrivera le premier à l’appontement.

L’un d’entre eux a des cheveux longs et une barbe noire. Son élève l’écoute avec attention. Un croyant descend lentement dans l’eau en s’appliquant à suivre les instructions de son gourou. Il plonge ses mains et les retire avec de l’eau sacrée qu’il présente au ciel comme une offrande. Plus loin encore, un groupe de femmes en sari glorifie les dieux selon le même rite. Au centre du bassin, des enfants jouent sur un bateau gonflable. Tout ceci forme un tableau impressionniste emprunt de solennité et de sérénité. On parle bas, on se recueille.

Les lavandiers
A quelques pas de là, en s’enfilant dans d’étroites ruelles, on aboutit dans le quartier des lavandiers. Un va-et-vient de cyclistes aux porte-bagages lourdement chargés de paquets de linge venant de tous les azimuts de la ville. En écartant des rideaux de draps d’un séchoir, on découvre un panorama de bacs en pierre où trempent des rideaux, des tapis, des draps de même que des saris de toutes les couleurs. Les lavandiers, jeunes, vieux, en casquette ou enturbannés, les pieds dans l’eau, frappent le linge mouillé contre les parois du bac pour forcer toute saleté tenace et réticente à sortir. Certes, nous sommes dans des bidonvilles de Mumbai, certes, le travail est dur et probablement mal payé, mais il est des lavandiers qui ne céderaient leur job pour rien au monde et qui, le coeur à l’ouvrage, frappent le linge avec ardeur et bonne humeur.
Plus loin, dans les ruelles avoisinantes, une équipe de repasseurs armés de fers du Moyen Age chauffés aux braises de charbon assurent que le linge sera livrable, propre et bien plié.

Un spectacle permanent
Un tableau spontané se présente à chaque coin de rue de Mumbai, qu’il s’agisse d’un barbier accroupi rasant un client, ou encore un marchand de bananes ambulant hélant les passants. C’est aussi la foule des figurants potentiels qui font le pied de grue aux alentours du Mc Donald dans l’espoir qu’un producteur de «Bollywood» viendra les choisir pour tourner dans le prochain film à succès. Mais là où l’ambiance est à son comble, c’est bel et bien au Chock Bazaar, celui qu’on appelle aussi le marché aux voleurs (thief market). Bien qu’il soit préférable de ne pas ouvrir un porte-monnaie devant tout le monde et d’en extraire des billets aux regards de tous, ni de se promener dans la foule avec des bijoux de valeur, c’est plutôt sur les étals qu’on trouvera la justification de cette dernière appellation. En effet, c’est hallucinant! Vous trouvez là toutes sortes d’objets, volés pour la plupart, et méthodiquement classés par genre précis d’objet. Dans la rue de l’automobile, vous trouverez l’étal des carburateurs, plus loin celui des bouchons de réservoirs, plus loin celui des essuie-glaces et même celui des capots avants. Dans la rue de l’immobilier, vous trouverez l’étal des boutons de porte à côté de celui des lavabos ou encore celui des tabourets. Un collectionneur d’appareils photos y trouvera son bonheur en découvrant des appareils vieux de plus de 50 ans, du style Rolleiflex ou Yashica 6X6. Je n’ose pas vous décrire la montagne des téléphones portables! On y resterait une journée entière. Attention, ne prendre des photos qu’avec l’autorisation des marchands. Certains refusent (et pour cause).

Porteurs à la gare ferroviaire de Church GateLa gare où les coursiers sont rois
La gar
e ferroviaire de Church Gate connaît une effervescence qui n’existe nulle part ailleurs: celle due à ceux qu’on appelle les «dabbawallahs ». A l’aube, ces travailleurs coiffés de bonnets de police s’insèrent dans un modèle d’organisation dont le but est de livrer plus de seize millions de repas chaque jour. Les travailleurs de tous acabits qui s’absentent de leur domicile de la périphérie de Mumbai ne font pas confiance aux restaurants. Ils ne font confiance qu’à leur mère ou leur épouse pour préparer un repas à leur goût et selon l’hygiène souhaitée et à la bonne température. Prendre sa gamelle le matin est encombrant et le repas risquerait de refroidir avant le repas de midi. La meilleure formule est de s’en remettre à l’organisation des dabbawallahs, ces hommes qui suivent à la lettre un programme précis où l’erreur n’est pas permise. Mais suivons le scénario en séquences. La mère ou l’épouse prépare le tandoori, le chapati ou le curry de légumes. Elle les place dans une gamelle hermétiquement fermée et mise dans un sac moletonné pour garder toute la chaleur du repas. Celle-ci porte une référence qui désignera l’adresse de l’expéditeur et celle du destinataire mais sous forme de symbole (les dabbawallahs sont souvent illettrés). Un coursier viendra prendre livraison de toutes les gamelles du quartier et ira les porter à la gare la plus proche où, dans un wagon spécialement désigné, un autre «dabbawallah » les chargera pour les trier et les remettre à un autre dans les différentes gares desservies par la ligne en question. Mais, se trouvant dans le centre névralgique, la gare de Church Gate en fin de ligne est celle où la plus grand partie des gamelles est déchargée. A l’arrivée du train, une armée de coursiers se rue vers le wagon aux gamelles. Le tri est opéré en un tournemain. Chaque livreur sait quelles gamelles il doit charger sur son plateau qu’il portera sur l’épaule, soit environ 80 kg de chargement. Il ira ensuite porter à bout de bras les repas chauds aux clients. La même opération aura lieu dans le sens du retour pour porter les gamelles vides à bon port. On compte environ une erreur pour 6 millions de repas livrés. Cette opération est plébiscitée par les habitants de Mumbai: c’est bon, c’est chaud et ça vient de la maison!


Texte: Erika Bodmer
Photos: Gérard Blanc


Ce reportage a été réalisé avec l’aide de l’Office national du tourisme de l’Inde www.incredibleindia.org



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