Terroir en Jura français
On imagine souvent mal un dépaysement total à moins de deux heures de Lausanne ou de Genève. Et, pourtant, il est au rendez-vous dans un microcosme de terroir qui porte le nom de Nord-Revermont, à une dizaine de kilomètres de Lons-le-Saunier, dans le département français du Jura. Plus que toute autre chose, la gastronomie traditionnelle est un dépaysement mêlé d’un sentiment de bien-être «comme chez soi», en toute simplicité.
Un excellent point de départ pour la visite du Nord-Revermont est le château d’Arlay avec les ruines de ses remparts perchés au sommet d’une colline striée de vignobles. En parcourant les ruelles du petit village moyenâgeux qui, jadis, abritait les ouvriers des vignobles du château, on est d’un coup transporté dans un autre siècle avec des maisons aux toits de tuiles rouges et autre tourelles. Entre les ruines médiévales et le village s’intercale le nouveau château (datant de 1775), dont la visite est assurée par les châtelains actuels, descendants de la famille Lauragais.
À quelques kilomètres de là, Baume-les-Messieurs est le clou de la région avec l’un des plus beaux spécimens de «reculée», un phénomène qui fascine toujours les amateurs de géologie et qui, à tort, a été interprété autrefois comme résultat d’une érosion glaciaire. Mais le plus intéressant demeure dans cette configuration en canyon à plusieurs branches clôturées par des falaises hautes de 150 mètres.
Au carrefour de trois de ces reculées trône le village de Baume-les-Messieurs et son abbaye clunisienne du VIème siècle, dont la fierté est un retable rutilant d’or.
Ce qui attire le plus les visiteurs venus de toutes les régions de France et de Suisse est la bonne chère. Volailles et charcuterie, mais aussi fromages et vins prestigieux.
Les grandes pointures du Nord-Revermont
Il est trois personnalités que tout gastronome doit absolument rencontrer dans cette belle région :
Jacques Puffeney. Une fois quitté sa cave de Montigny-les-Arsures, on constate que, sans en avoir l’air, on a dégusté peut-être une quinzaine de crus. Un conseil, mieux vaut avoir un ami à la fois sobre et chauffeur. Jacques Puffeney inspire le respect dans toute la région grâce à ses réussites oenologiques. Et, pourtant, il n’y a pas plus modeste que lui et on ne le voit guère participer à des concours, bien qu’il ait été quand même nommé comme «Domaine de l’année» dans le guide Fleurus 2004 et médaille d’or du Vin jaune en 1996.
François Mossu. Il est descendant d’un paysan gruyérien de Broc venu dans le Jura français pour fuir l’arrivée de l’usine Nestlé. Petit fils de cet émigrant cultivateur, François opta plutôt pour la viticulture et s’est vu sacré par ses confrères comme «pape du Vin de paille» à Voiteur.
A Granges-sur-Baumes, Hervé Poulet et ses deux fils sont les derniers fidèles à l’affinage du morbier selon la méthode traditionelle. Sa seule dérogation à cette tradition est la fabrication de fromages à raclette qui lui est de plus en plus demandé dans les crèmeries françaises.
Comté, morbier et bleu de Gex: La recette de la fabrication du morbier commence classiquement: du lait conservé toute la nuit à 4°c et, ensuite, réchauffé à 32°c, puis ensemencé avec des ferments lactiques. Après une heure de maturation et un léger brassage, il reçoit une dose de présure qui va le faire prendre. Une demi-heure plus tard, le lait a caillé et s’est transformé en matière solide. Le fromager découpe alors le caillé en grains de la taille d’une cerise et fait monter la température à 38° C.
Je vous passerai les diverses opérations suivantes comme le «délacostage», l’ajout de charbon au centre des meules et, enfin l’affinage (qui dure environ 45 jours) pour laisser la place au maître de céans de la fromagerie de Granges-les-Baumes, le «dernier des Mohicans» des fromagers traditionnels de la région, la plupart des comté, morbier et autres bleus de Gex étant maintenant fabriqués dans des ateliers qui bien qu’artisanaux (AOC oblige) sont plus imposants par leur débit simili industriel. Mais, au cas où Hervé Poulet ne serait pas disponible pour une démonstration personnalisée (il faut aussi laisser l’artiste créer son oeuvre), vous pourrez, par exemple, visiter l’une des «fruitières» (rien à voir avec des fruits, mais évoquant le fruit du travail des fromagers regroupés en coopérative de la région), où on vous décrira l’histoire et la fabrication des fromages. Un circuit est d’ailleurs prévu pour les intéressés, lequel porte le nom de «Routes du Comté», et rien que son évocation des fromages vous met déjà l’eau à la bouche.
Cépages et appellations: Les vignobles d’Arbois, vous connaissez? Certes, ils représentent une infime partie du vignoble français, mais ils savent se faire une bonne place dans le classement des crus de l’Hexagone, etce ne sont pas, et de loin, les seules appellations du Nord-Revermont. On y compte aussi le Pupillin, le Poligny, le Vernois, le Voiteur, le Château-Chalon, le Ménétru et j’en passe. A ce jour, environ 270 exploitants cultivent 400 hectares de pinot noir et de chardonnay, qui sont les plus classiques, mais aussi et surtout d’autres cépages tels que le savagnin, le trousseau ou le poulsard. Cette région des vignobles du Jura qui se délimite entre Lons-le-Saunier au sud et Arbois au nord offre un paysage bucolique intercalant la vigne ponctuée de villages, les accidents géologiques, tels que les reculées montrant des différences géologiques des sols avec du calcaire d’une part et de la marne bleue de l’autre.
La fierté de son lopin de vignes est un sujet de gouailleries plaisantes entre vignerons qui donnent des slogans tels que «Château-Chalon le nom, Ménétru le bon».
Plus sérieusement, disons que si les cépages locaux tels que le poulsard, le savagnin ou le trousseau sont d’agréables découvertes pour le néophyte, les plus grands noms restent le Vin jaune et le Vin de paille. Le premier est une levure indigène qui se forme à la surface du savagnin (découverte de Louis Pasteur). Au cours d’un vieillissement de six ans et trois mois, ce champignon donne ce fameux «goût de jaune».
Le Vin de paille, quant à lui, est un liquoreux dû à une sélection des plus belles grappes des vendanges de tous les cépages jurassiens, à l’exception du pinot noir, que l’on sèche (jadis sur un lit de paille) pendant trois mois environ avant de le presser. Le confit de raisin est ensuite chauffé et fermente alors lentement pour donner ce vin liquoreux riche en alcool (minimum 14°) et en sucre résiduel. Il doit ensuite subir un vieillissement minimum de trois ans sous bois et au moins de deux ans en petit fût. Et puis, il ne faudrait en aucun cas oublier de mentionner le Macvin, apéritif né d’un mélange de marc et de chardonnay.
Texte Erika Bodmer
Photos Gérard Blanc