L’Irlande du centre
Le gène de l’esprit d’entreprise
Dans la majorité des cas, cette Irlande est celle qu’on traverse en coup de vent pour accéder au plus vite à la sauvage côte ouest. Et, pourtant, les comtés de Leitrim, Roscommon et Cavan représentent l’Irlande profonde, celle des lacs et rivières, celle des petits métiers, peu visitée et plus intime, celle qui se conforme à la nouvelle tendance de «slow tourism», qui préférera la randonnée pédestre, cycliste ou équestre et une approche riche en contacts humains.
C’est peut-être cette région qui porte plus que d’autres le qualificatif de « verte Erin » et se décline sur le thème de l’eau vive avec un chapelet de lacs et un réseau dense en rivières. On y sent un contact plus simple, plus authentique, peut-être en raison d’un tourisme plus individuel, en tout cas pour l’instant. Elle a la particularité depuis les 20 dernières années d’avoir suscité des vocations dans le domaine de l’accueil, dont la plupart sont d’origine familiales. En phase avec notre époque, elles s’inscrivent dans un principe à contre-courant du tourisme de masse. Voici deux exemples parmi beaucoup d’autres.
L’odeur du pain et des gâteaux
Le café-boulangerie-pâtisserie de Sinead Gillard, alias Jinny, est l’exemple même de ces commerces de famille qui ont pris leur essor dans le centre d’Irlande, dans des lieux qui n’étaient pas a priori destinés au tourisme et qui aujourd’hui sont fleurissants. Jinny décrit à merveille cette évolution touristique du centre encore méconnu de l’Irlande. «Pendant les années 70 et 80, les visiteurs du continent européen traversaient notre pays sans s’arrêter. La majorité se rendait dans les comtés du Kerry, de Galway ou de Donegal. La principale activité touristique du comté de Leitrim se résumait à la location de bateaux habitables sur le fleuve Shannon où à a pêche sportive dans les lacs et rivières. Les premiers clients de ces activités furent d’abord les Anglais, suivis des Allemands, des Suisses et d’autres encore, qui passaient leurs journées à taquiner le brochet et la truite. Ils avaient besoin de se loger et de manger. C’est là qu’intervint mon père. Il eut l’idée d’acheter un bout de terrain à Drumshanbo pour y construire un restaurant et un cottage. Jeune fille, je devais aider à la cuisine et au service. J’en profitais pour faire valoir mes talents de boulangère.» En 2005, Jinny racheta les parts de ses parents et de ses frères et sœurs pour s’occuper du restaurant à part entière, mais en y mettant sa touche personnelle pour muter le restaurant en boulangerie- tearoom servant des soupes, des sandwiches, des muffins, des puddings, etc. En 2007, son mari, Pascal, se joignit aux activités du restaurant en troquant son métier d’agriculteur pour lequel il avait été formé, contre celui de boulanger. Depuis, la réputation du Jinny’s Café n’a cessé de grandir et le tearoom ne désemplit pas de touristes, certes, mais aussi d’habitants venus de tout le comté de Leitrim, tout aussi friands des merveilles sorties du four du Jinn’y’s Café, un réconfort appréciable après une longue randonnée à pied ou à vélo le long du canal voisin. Pour répondre à une demande croissante, sept cottages traditionnels furent construits pour loger les touristes pêcheurs. Jinny et son mari ne se privent pas de débattre des sujets tels que les moulinets, les cannes à pêche ou les appâts avec leurs clients pêcheurs.
Le jardin bio
À Rossinver, non loin de là, se trouve un jardin dont la vocation est, certes, de produire des fruits et légumes bio et de les vendre aux restaurants et autres commerces alentours, mais aussi d’organiser des stages et séminaires axés sur la formation au jardinage respectueux de l’environnement. Jimmy White est instructeur de culture biologique et guide à l’occasion. Il fait visiter le chef-d’œuvre qu’est ce jardin et s’exprime en préambule: « Mon père était au front pendant la 2ème Guerre mondiale et a été choqué par l’utilisation de la chimie dans l’agriculture sur le continent européen. A son retour, il s’est déclaré hostile à toute utilisation de produits chimiques, vu les dégâts qu’ils causaient à la terre, à l’homme et à l’environnement. De la Suisse, Jimmy n’en connaît pas grand-chose mais, tout en saluant le principe de démocratie directe cher aux Helvètes, était un peu amer lorsqu’il a appris le rejet de l’initiative devant interdire l’emploi du Glyphosate.
Le jardin bio de Rossinver est un peu comme un îlot de verdure biologique avec une variété infinie de dénominations. Au cours de la visite, Jimmy White précise : «Nous écartons toute intervention chimique, car nous n’en avons pas besoin et les plantes poussent beaucoup mieux sans elle. Le jus de pomme que vous pouvez déguster dans notre cafeteria est pressé sur place avec les fruits de notre verger. Le centre de Rossinver presse aussi les pommes de la plupart des vergers des environs. » Le but du centre est de recevoir un maximum de visiteurs, non pour une recherche de chiffre d’affaires mais pour faire prendre conscience des bienfaits de la culture biologique à un maximum de personnes. L’une des démarches est, par exemple, d’assainir la rivière qui traverse le domaine pour permettre aux saumons de remonter dans leur site de frai. Pour cela, le centre plante des roseaux servant de filtres qui garantissent une eau propre. Regarder les saumons au moment de la frai est une fascination pour la jeunesse qui vient participer aux séminaires écologiques. L’apothéose de la visite est l’enfilade des serres dans lesquelles poussent des fruits et légumes avec des tailles parfois gigantesques, rapport au compost savamment préparé et sur lequel les cultures poussent exclusivement.
Dans la boutique du centre, le visiteur, pour autant qu’il soit jardinier, peut acheter des sachets de graines authentiquement récoltées dans les, plantations de Rossinver où tout est authentiquement bio et qu’il pourra semer dans son jardin sans craindre qu’elles ne soient génétiquement modifiées.
Texte et photos Gérard Blanc