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CUISINE DU MONDE

À Soleure, l’antre de l’absinthe

S’il est à Soleure un bar peu ordinaire, c’est bien celui de la Fée verte dont la principale boisson servie est cette bonne vieille absinthe qui a ému bien des générations. Si cet alcool est maintenant en vente libre, les débits de boissons qui la servent restent encore assez rares. Leur fréquentation reste dans le domaine de l’insolite et la déguster relève, pour certains, de la machine à remonter le temps.

IMG_7706++Depuis le XIXème siècle, l’absinthe a fait couler beaucoup d’encre: nous lui devons certaines des plus belles envolées de Rimbaud, de Beaudelaire ou encore de Théophile Gautier. Elle a eu aussi une réputation moins reluisante. Accusée de rendre fou, l’absinthe fut interdite en France 1908. Ce n’est qu’en 2011 qu’elle revint sur les étagères des cavistes après que l’on ait prouvé que les effets néfastes du spiritueux étaient non pas dus à la plante d’absinthe elle-même, mais à une consommation plus qu’excessive et des méthodes de distillation parfois douteuses. Nous avons donc eu la chance de pouvoir déguster l’absinthe et, fort heureusement, aucun effet néfaste ne s’est fait sentir …

Dans l’antre de la Fée verte
IMG_7690+ Si d’aventure vous poussez la porte du bistrot de la Fée verte se trouvant aujourd’hui sur la Klosterplatz de la vieille ville de Soleure, vous aurez peut-être une impression subconsciente de faire quelque chose d’interdit. Vous serez  accueilli par le regard malicieux du patron, Roger Liggenstorfer s’exprimant dans un français impeccable. L’environnement est fait de verres et de flacons avec un drapeau cubain  pendu au mur et, en prime, l’œil interrogateur du Che Guevarra. Il vous servira peut-être un Cuba libre si vous lui demandez, mais sa boisson phare est avant tout l’absinthe. Il vous  racontera que son bistrot fut le premier à être officiellement autorisé à servir de l’absinthe, une reconnaissance qui aurait bien fait plaisir à son grand-père, IMG_7709+un Jurassien du Val-de-Travers, qui distillait en douce, celle qu’on appelait à l’époque la fée verte. Le peuple suisse vota son interdiction à 60% en 1908  La loi fut appliquée de 1910 à 2005. Les Suisses auraient été influencés par leurs voisins français dont le gouvernement, pour défendre leurs vignerons, auraient voulu éliminer une boisson concurrente au vin après avoir constaté l’engouement de la population pour l’absinthe. Des rumeurs couraient alors sur ses effets hallucinogènes et psycho-réactifs puissants libérant son consommateur de toute inhibition. Pour Roger Liggenstorfer, ces effets étaient présentés comme largement exagérés et ne pouvaient s’appliquer qu’à une absinthe de mauvaise qualité et à son maximum de taux d’alcool soit 90°, alors qu’on en trouvait à 55° et que, de toute façon, elle ne doit jamais se consommer pure.

Le rite
IMG_7704++ Mais passons aux choses sérieuses et laissons le maître de céans nous initier au rituel de la dégustation. Tout est prêt sur la table. Roger a posé l’une de ses fontaines à absinthe, une pièce de musée. Il s’agit d’un réservoir en verre sous lequel se  trouvent  plusieurs minuscules robinets en étain. Roger a rempli le réservoir d’eau et de glace, car, comme le pastis, cet alcool se boit très frais, mais là s’arrête la comparaison, car elle  se boit sans glaçon dans le verre. Roger verse 3cl d’absinthe dans un verre à pied et, sur le verre il pose la célèbre cuillère à absinthe creusée de motif (plus tard, il nous présentera sa  collection de cuillers à absinthe du début du 20ème siècle). Il y pose alors un morceau de sucre et place le tout sous la fontaine à absinthe. Il ouvre le petit robinet et l’eau coule goutte à goutte sur le sucre pour bien l’imbiber avant de remplir le verre. Patience ! Ça y est, le verre est rempli de cette mixture de couleur laiteuse. Santé!

Texte Erika Blanc, photos Gérard Blanc

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