Mutation des transports : retour au BIGTE ?
BIGTE ? Qu’est-ce encore que ce sigle ? « Je vous parle d’un temps que les moins de vingt ans ne peuvent pas connaître… », chantait Charles Aznavour. Le retour à un tel système permettrait de trouver un nouveau chemin vers un concept du transport plus équitable et plus respectueux de l’environnement.
Les BIGTE (billets individuels de groupe pour travailleurs étrangers) étaient en vente dans les années 70. Certaines agences de voyages recevaient une accréditation spéciale, comme, par exemple, à Lausanne, les agences Lido, avenue des Terreaux ou CIT (agence italienne) à la rue du Petit-Chêne. Elles émettaient des billets de train en faveur des travailleurs saisonniers espagnols, italiens et portugais, lesquels offraient leur main d’œuvre en Suisse et pouvaient rentrer chez eux, soit eux une fois leur saison terminée, soit pour passer les fêtes en famille. Ces tarifs préférentiels étaient négociés par des accords bilatéraux auprès des gouvernements. Ainsi, pour des trajets approchant des 60.- aller et retour par train pour Palerme, Reggio ou Bari (le prorata du parcours par train jusqu’au point frontière coûtait parfois les 2/3 du prix total du billet), un travailleur italien pouvait se rendre à Palerme, Naples ou Bologne ; un espagnol se rendre à O’Grove, Pontferrada, Pontevedra ou Orense ; un Portugais à Lisbonne, Porto, Evora ou Coimbra, etc. Parallèlement, des avions charters étaient affrétés pendant les périodes de fort trafic, eux aussi spécialement bon marché et réservés aux travailleurs étrangers à destination de St Jacques-de-Compostelle, La Coruña ou Oviedo ; de Bari, Reggio, Catane ou Palerme ; de Porto ou Lisbonne, etc. Depuis, la Suisse a abandonné, ce qui serait plutôt positif, le principe du travailleur saisonnier, mais il n’empêche que celui-ci est toujours indispensable. Certains agriculteurs viennent, par exemple, de déclarer être prêts à payer les billets d’avion pour faire venir ces travailleurs qualifiés qu’on ne trouve pas en Suisse, apparemment. Peut-être sont-ils non seulement plus qualifiés, mais aussi moins chers, ce qui est un autre débat.
Démonstration : Dans les années 70, les personnes qui prenaient l’avion payaient un billet pour New York aux alentours de 2000.- aller et retour, et pour Madrid entre 500.- 600.- au bas mot, ce qui, pour l’époque, était considérable. Aujourd’hui, nous sommes à l’aube d’un retournement de situation du trafic aérien après le déconfinement. Tout va-t-il recommencer comme avant ? On parle du doublement des prix de billets d’avion en raison de la distance sociale. Je dirais que même 50% d’augmentation restera raisonnable par rapport aux prix pratiqués par les compagnies lowcost, mais serait-il juste que les populations les plus défavorisées et, en particulier, ces travailleurs étrangers, subissent les conséquences de cette hausse ? Avec l’ère du lowcost, le billet d’avion est devenu trop bon marché et a lancé une machine qui s’est emballée et que, peut-être, le covid-19 freinera. Offrir des prix bon marché, c’est bien, mais pourquoi les mêmes pour tous ? On pourrait alors imaginer la réintroduction de prix réduits, pour le train comme pour l’avion, qui favoriserait les bas revenus comme cela avait lieux jadis comme, par exemple, en France avec les tarifs « congés payés », familles, retraités, etc. et qui, dans leur majorité, ont été abandonnés par les compagnies de transport, peut-être trop compliqué à gérer ou à comptabiliser. Avec une reconsidération des gouvernements concernant le prix des transports, les personnes qui auraient largement les moyens de payer un billet d’avion à un tarif « normal », suivraient un concept plus raisonnable de voyager et abandonneraient les déplacements inutiles. Cela permettrait donc de diminuer le trafic aérien et les émissions de gaz à effet de serre qu’il génère.
Gérard Blanc