Kaspar S. Wetli et Martin Thurnheer, artistes du vin et du tonneau
Dans ce village saint-gallois du Rheintal, Berneck domine le poste-frontière entre la Suisse et le Voralberg (Autriche). La viticulture et la tonnellerie y sont à l’honneur.
Peut-être l’ignorez-vous, mais Berneck est le village d’origine du célèbre tennisman Roger Federer. Les fans passent avec respect devant la maison de famille en espérant sans trop y compter de l’y voir à l’occasion d’une visite hypothétique à ses grands-parents. Mais celle qui est maintenant plus qu’un village a d’autres atouts. : Tout d’abord, ceux qui apprécient le côté pittoresque des anciennes maisons y seront gâtés avec plusieurs édifices à colombages, y incluse la maison du collecteur d’impôts, mais aussi et surtout les deux activités locales que sont celles d’un éminent vigneron et d’un artiste tonnelier.
Kaspar Wetli, le vigneron francophone
Nul besoin d’essayer vos connaissances scolaires d’allemand ni de vous exprimer en anglais en allant à la rencontre de Kaspar Wetli, vigneron à Bernex. Il parle couramment le français presque sans accent. Et pour cause, il a fait ses classes à la Haute école de viticulture de Changins dont il est membre de la fondation, et ne manque pas un seul salon d’Arvinis à Montreux ou de Vinum à Morges.
Une affaire de famille
La famille Wetli est propriétaire de 18 hectares, et ses activités couvrent non seulement la propre production du domaine mais aussi la « vinification à façon » pour d’autres propriétés) et l’achat d’autres raisins. En 2013, Kaspar a ajouté à sa panoplie la reprise du domaine de Wienacht-Tobel en Appenzell (6 hectares) et, enfin, celle d’un clos dans le village voisin de Thal. Les fils Kaspar Junior et Matthias ont, comme leur père, suivi des études d’œnologie, l’un à Changins, l’autre une école spécialisée en Allemagne. Kaspar junior est l’œnologue tandis que Matthias a pris en charge les relations commerciales, en grande partie avec les restaurants, y compris en Suisse romande comme, par exemple, « Au 5ème » à Lausanne. Les femmes participent activement à la réussite de l’entreprise. Susanne, épouse de Kaspar senior gère les dégustations au magasin et Mélanie, la belle-fille, gère les commandes et la comptabilité. Les deux autres fils de la famille vont bientôt intégrer la profession. Florian va commencer à travailler pour le domaine Wetli en janvier 2019 et Adrian, par contre, va intégrer la maison Zweifel à Zurich en tant que chef de culture.
Production et environnement
Chaque année, entre 200’000 et 300’0000 kilos de raisins sont vendangés. La grande production est faite de diverses variétés de pinots (noir, gris et blanc), qui représentent les 3/4 de la récolte. Mais, dans sa recherche de cépages résistants, Kaspar diversifie les variétés et son offre comprend aussi du riesling-sylvaner, du malbec, du chardonnay, du bourgogne bleu, etc. En faveur de l’abandon progressif du glyphosate, Kaspar exclut également l’emploi du souffre grâce à une méthode de « chauffage des vendanges » à 25°, un avantage certain pour le consommateur qui peut parfois être allergique au sulfite. L’eau est aussi une partie des soucis. Dans une grande partie de ses terrains, les anciennes racines peuvent aller profondément dans la terre et trouver l’eau qui leur est nécessaire pour se développer sans avoir besoin d’arrosage. Pour le reste, l’irrigation est inévitable. Enfin, dans ses vignobles à flanc de coteau, Kaspar Wetli à mis en place un système astucieux de « filets de grêle », sorte de grillages verticaux qui remplissent plusieurs fonctions. Ils mettent non seulement les vignes à l’abri de ce genre de mésaventure météorologique, mais permettent aussi de les diriger pendant leur croissance, sans avoir besoin d’attacher les ceps et, enfin, d’empêcher les oiseaux de manger le raisin sans avoir à recourir à des méthodes contraires à l’environnement.
Des tonneaux dans la règle de l’art
L’autre fierté de Berneck est la tonnellerie Martin Thurnheer, spécialisée dans la fabrication des fûts de stockage, des barriques, des foudres, des cuves de fermentation, des baignoires en bois et autres récipients du genre depuis 1854, et auquel les vignerons de toute la Suisse ont recours, les entreprises du genre devenant de plus en plus rares. La direction de la petite entreprise familiale est assurée de père en fils depuis 5 générations avec un savoir-faire ancestral et une passion qui n’est pas prête de s’éteindre. « Nous réalisons des tonneaux avec du bois de chêne ou de mélèze de haute qualité provenant de Suisse et de France. Lorsqu’ils ont appris à nous connaître, les vignerons suisses se servent de nos fûts et de nos barriques pour donner à leurs vins une touche boisée unique. La production de tonneaux classiques n’est pas notre seule activité : nous concevons aussi des jardinières, des tonneaux pour l’eau de pluie, du mobilier et des articles de décoration. Il nous arrive enfin d’aller dans les caves des vignerons pour des travaux de réparation et de contrôle de leurs tonneaux», raconte Martin Thurneer qui poursuit : « Chez nous, les barres qui servent à fabriquer les tonneaux sont faites de bois fendu et non scié. Avec le bois fendu, la pièce garde toute sa structure. Avec le bois scié, il y a des risques de fentes et de fuites au bout d’un certain temps. Chaque essence a sa fonction : le châtaigner est plutôt un bois qui donne du tanin au vin rouge, alors que le chêne est davantage fait pour le chardonnay, ou encore le cerisier qui correspond aux vins plus sucrés, mais aussi pour le malbec ».
Texte Erika Bodmer, photos Gérard Blanc