Fatima-Zohra, native d’Assilah dans le Rif marocain
Pétillante, cette Fatima-Zohra que j’ai rencontrée à l’occasion d’une invitation chez l’ambassadeur honoraire du Maroc à Lausanne, Jean-Marc Maillard, de passage à Tanger. Fatima-Zohra est la cuisinière qui nous a préparé un somptueux couscous aux trois céréales. C’est une femme exceptionnelle par sa vivacité, son esprit inventif et son humour. Mais lisez plutôt son témoignage:
«Je suis née dans la médina d’Assilah en 1962 et me suis mariée avec Youssef, le chauffeur de la maison. Nous avons eu un fils, qui a maintenant 32 ans. Mon père était un pêcheur professionnel et nous étions 9 enfants. La vie était difficile et nous vivions chichement dans une très petite maison. Je suis au service de mon employeur actuel, Monsieur Jean-Marc Maillard, depuis une dizaine d’années, et avant cela, j’étais au service d’une famille française auprès de laquelle j’ai appris la cuisine française.
Mon employeur actuel reçoit beaucoup: sa famille, ses amis et des personnalités importantes, marocaines et européennes. On parle plusieurs langues autour de la table et je ne comprends pas tout, mais c’est assez fascinant d’entendre ce mélange d’arabe, de français, d’anglais, d’espagnol et même l’allemand, une langue mystérieuse pour moi.
Mon fils est propriétaire de la maison où j’habite, et dans laquelle viennent me voir les membres de ma famille. Il s’est marié en Europe et est père de trois enfants. Je communique avec lui par Skype très régulièrement pour maintenir le contact. Il ne vient, hélas, que rarement ici et seulement pour les vacances d’été. Toute la famille loge alors dans la maison et l’on se serre un peu, mais nous, les Marocains, on a l’habitude. Durant la plus grande partie de ma vie, je n’ai pas eu de logement à moi. Je vivais dans une chambre chez ma belle-mère, mais depuis trois ans, quand j’ai pu intégrer la maison actuelle, ma vie est devenue un rêve. Quand tu n’as rien eu avant, tu ne peux imaginer ce que cela représente. Cette maison est devenue le pivot central de ma vie après mon travail.
L’hospitalité est essentielle dans une vie. Lorsque l’on vit replié sur soi-même, on ne peut pas rencontrer le bonheur qui est dans le partage. Ayant fait partie d’une fratrie de 9 enfants, j’ai appris à partager très tôt, jusqu’au morceau de pain. Depuis mon enfance, j’ai toujours vu passer des touristes à Assilah, mais ils ont bien changé depuis. Au début, c’étaient des Anglais ou des Belges, mais également des Français et parfois des Espagnols. Maintenant nous avons aussi des Américains et pas mal de Chinois. Le tourisme est une nécessité, il nous fait vivre, car nous sommes encore trop pauvres pour faire vivre les commerçants, dont certains sont aujourd’hui devenus riches en vendant des antiquités et des tapis, qui parfois partent jusqu’en Amérique. On ne voit pas beaucoup passer de Suisses. Peut-être sont-ils trop discrets. C’est pourtant ce qu’on aime bien: les gens respectueux, qui acceptent nos traditions, qui les comprennent et se comportent correctement. Il y en a malheureusement dont l’habillement nous choque, mais nous ne disons rien, ce qui ne nous empêche pas de nous moquer gentiment de ces femmes qui se promènent dans la rue en se croyant à la plage et deviennent rouges comme des langoustes!
Le meilleur souvenir de mon enfance était la possibilité de me rendre à l’école et étudier. J’avais conscience que c’était le seul moyen de m’émanciper et un jour de pouvoir gagner ma vie. J’aurais tellement aimé faire des études supérieures! Mais voilà, je suis une fille et mon père n’avait pas les moyens de me soutenir. J’ai alors beaucoup appris par moi-même en lisant et j’en suis très fière. Il faut apprendre toute sa vie, tu vois, c’est comme ça. Ceux qui ne le font pas n’ont pas des vies intéressantes et se contentent de bavarder et colporter des rumeurs ridicules. J’ai pu ainsi aider mon fils à suivre les cours, puis je l’ai encouragé à partir à l’étranger pour sortir de tout cela et tenter sa chance, car ici, il n’y avait aucune possibilité. C’était un grand sacrifice pour moi d’être séparée de mon fils unique. J’en souffre. Il travaille en Allemagne après avoir été en Espagne et en Autriche.
Assilah est une toute petite ville et on se connaît tous et on s’entraide car il le faut bien. On n’est pas égoïste. Je crois que c’est cela le bonheur et puis, il faut aussi savoir rire!»
Texte & photo Gérard Blanc