Chypre Nord un secret bien gardé
Quelle que soit l’issue finale des démêlés entre Grecs et Turcs sur le partage de Chypre, l’occasion reste belle de découvrir cette partie bien souvent méconnue de la Méditerranée, avec une portion de quelques 200 km de long sur 30 km de large, face à la Turquie égéenne au nord et à la Syrie à l’est.
Si la promotion de la partie sud de l’île est permanente en Europe, celle de la partie nord est encore un secret bien gardé, ce qui lui donne un avantage certain, celui de bénéficier, par endroits, d’une nature encore vierge. A l’exception des Britanniques, les visiteurs sont pour la plus grande partie les Turcs eux-mêmes, ce qui confère à cette région une image environnementale attractive. Jusqu’alors, une grande partie du tourisme à Chypre Nord se concentrait sur ses casinos fréquentés par les habitants d’Istanbul. Un projet est en cours visant l’installation d’une «zone casino» à la manière de Las Vegas, afin d’y concentrer les joueurs et de céder le reste du terrain aux autres formes de tourisme et, de préférence, à un tourisme de qualité, celui de la visite des sites archéologiques et historiques et de la découverte de la nature.
La Grande Nature
Chypre Nord doit préserver sa nature avant tout, mais le développement touristique annoncé le permettrait-il? En tous cas, les régions montagneuses, la péninsule extrême nord-est et son épine dorsale qu’est la chaîne des Karpaz, et, de part et d’autre de Nicosie, les massifs du Mesarya Ovari et le Güzel Ovari, bénéficient encore d’une nature préservée, pour le plus grand bonheur des amateurs de botanique (surtout pour la grande variété d’orchidées sauvages) et d’ornithologie, le nec plus ultra étant l’observation de la ponte et de la naissance des tortues marines. Et puis, Dieu le préserve, le spectacle des grandes plages encore viergesde Yarsi, de Kasa ou de Bafra et leur sable fin est un vrai régal pour les yeux.
Les traces des anciens
Les références à la mythologie et à l’histoire sont infinies, au même titre d’ailleurs que d’autres îles méditerranéennes, comme la Sicile, la Sardaigne ou Malte, et parce que Chypre s’est trouvée au coeur de multiples migrations.
Il faut aussi prendre en compte d’autres importants facteurs, comme l’évangélisation des premiers chrétiens et, plus tard, les Croisades. La conséquence (heureuse, bien sûr) est la quantité innombrable de ses sites archéologiques, monastères, châteaux, cathédrales, etc. qu’on trouve en de nombreux points de Chypre Nord.
Nicosie (Lefkosa), la Berlin méditerranéenne
Au-delà des considérations nationalistes, on trouve dans la capitale bicéphale des détails amusants, comme, par exemple, ce terrain de football qui, sur la ligne de démarcation, permit aux équipes grecque et turque de se mesurer par le sport, avec les supporters turcs sur les gradins Nord et les supporters grecs sur les gradins Sud. Le match, arbitré par les Nations Unies, s’est déroulé le mieux du monde ce qui fait douter du véritable différent qui opposerait les deux cultures.
Mais ce n’est pas, et de loin, la seule chose que nous retiendrons de Nicosie Nord, mais plutôt les ruelles pavées et bordées de maisons ottomanes aux balcons de bois et volets bleus ou verts le long de la ligne Attila, sans oublier les tavernes conviviales, où les mezzés, les kebabs et les aubergines farcies attendent le choix des convives.
On retiendra surtout le Büyük Han (le Grand caravansérail), ce bâtiment qui fut tour à tour une auberge, puis une prison et aujourd’hui un centre artisanal. C’est une copie conforme de ceux que l’on trouve, par exemple, en Anatolie sur la route des caravanes, avec la grande tour au centre et les balcons à arabesques et à colonnes sur deux niveaux.
On trouvera encore davantage une atmosphère bien méditerranéenne dans le grand marché couvert, où fruits, légumes, poissons, huile d’olive, pistaches et loukoums se présentent sous leur angle le plus alléchant.
Saint Hilarion
S’il existait une échelle d’intérêt quant aux must des monuments à visiter, le fort médiéval de Saint Hilarion arriverait certainement en tête de liste. Sa situation en haut d’un piton rocheux en fait l’une des constructions les plus incomparables qu’il soit donné de voir sur terre. Peu étonnant dès lors d’apprendre que Walt Disney s’en soit inspiré pour dessiner le château de Blanche-Neige.
Le plus spectaculaire est ce rempart grimpant à flanc de montagne et les bâtiments et fortifications épousant les anfractuosités des rochers.
Contrairement à Malte, où les fortifications occupent une grande partie de l’île, celles de Chypre Nord sont moins ostentatoires, les plus impressionnantes étant celles du fort de Kyrénia et de Famagouste. Les fortifications ne sont certes pas omniprésentes, mais occupent néanmoins une place importante, dont, entre autres, les remparts de Famagouste. A Kyrénia, la forteresse massive transformée en musée retrace notamment le passage de la 3e Croisade et celui de Richard Coeur de Lion, qui vendit Chypre aux Templiers.
On peut aussi y admirer une découverte digne d’un roman de Stevenson qu’est ce bateau reconstitué datant de 300 ans avant J. C., lequel fit naufrage à quelques encablures du château de Kyrénia avec tout son chargement d’amphores de vin et d’huiles, demoulins à grains et d’amandes. Des archéologues marins en remontèrent la plus grande partie entre 1967 et 1969.
Mythologie et religion
Les basiliques, les monastères et les cathédrales foisonnent à Chypre Nord et donnent la dimension de ce que fut l’évangélisation des premiers chrétiens et, par la suite, les Croisades, dans cette contrée, et bien d’autres influences religieuses par la suite, qu’elles viennent des Français, des Vénitiens, des Lusignans ou des Grecs.
Les témoignages sont nombreux et mettent en valeur des oeuvres d’art exceptionnelles, telles que les mosquées de Sélimiyé à Nicosie et de Lala Mustafa Pacha, deux exemples de cathédrales transformées en mosquées et surmontées de minarets.
L’abbaye gothique de Bellapais est considé-rée comme l’un des principaux chefsd’œuvre en raison, principalement, de son architecture, mais aussi des fresques italiennes qui décorent l’entrée de sa chapelle.
Mais les collections d’icônes sont encore ce qu’on peut découvrir de plus spectaculaire et principalement celles de la basilique de Saint-Barnabé près de Famagouste. On y trouve, comme dans d’autres lieux de culte, la représentation de Saint Barnabé chevauchant un lion.
Présence romaine
Chypre Nord peut s’enorgueillir de son site romain de Salamis du 4e siècle (environs de Famagouste), l’un des mieux conservés du genre, après ceux de la Lybie ou d’Ephèse.
On y constate d’ailleurs l’inexorable coutume des Romains à répéter, ici comme ailleurs, les mêmes bâtiments un peu partout sur les territoires de leurs ancêtres.
Ainsi, à Salamis, on trouvera un gymnase, des thermes, une villa, un théâtre, un temple et une basilique. Si quelques mosaïques peuvent y être admirées, elles ne sont pas les plus spectaculaires de Chypre Nord. Il faut se rendre sur le site de Soli, proche de Güzelyurt, pour trouver de superbes mosaïques, dont les plus anciennes datent de 1050 avant J.C., ou encore, sur la péninsule de Karpaz, celles de la basilique de Ay Trias et, en particulier, celle, symbolique, des sandales du Christ.
Indubitablement turc
Mais l’ambiance de Chypre Nord est fidèle à celle qu’on rencontre, par exemple, dans la région égéenne de la Turquie.
C’est ici une table de bistrot en rase campagne entourée de bougainvilliers, où deux hommes boivent nonchalamment un raki, une enfilade de chalutiers dans les ports de pêche de Kyrénia ou, plus authentique, celui de Bafra (péninsule de Karpaz) et leurs chalutiers, où les pêcheurs préparent en toute quiétude la prochaine sortie en mer.
Mais toute personne souhaitant se plonger dans l’ambiance pleinement chypriote du Nord lira «Les citrons amers», roman de Lawrence Durrell, qui décrit à merveille «l’arbre de la paresse» trônant au centre du village de Bellapais, à l’ombre duquel les hommes passent leur temps à siroter leurs rakis, alors que les femmes font à la fois le travail des champs, la cuisine, le ménage et élèvent les enfants.
Textes et photos Gérard Blanc
Infos pratiques :
Climat
Vous serez bien vu si vous apportez la pluie. A Chypre, on aurait plutôt tendance à souffrir de la sècheresse et la pluie n’intervient que très rarement, en hiver et au printemps, la moyenne étant de 500 millimètres par an. En été, la température atteint les 30 à 35 degrés.
Achats
Poupées en costume traditionnel, broderies, artisanats en cuivre, or, bronze, argent, onyx.
Un plus!: Pas de sollicitation intempestive de la part des commerçants.
A voir encore
A Nicosie: La résidence de Dervish Pacha, le monastère des derviches tourneurs, le Musée de lutte nationale; à Famagouste, la tour d’Othello.