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JE PARS À LA RENCONTRE

Les Ethiopiens du Nord

Marché Lalibela © Gérard Blanc

En côtoyant les Éthiopiens du nord, je veux dire ceux des plateaux du Tigré, d’Axoum ou de Lalibela, on tombe sur des gens profondément chrétiens et, parfois, bien au-delà des ferveurs religieuses que l’on connaît aujourd’hui en Europe. On constate aussi que ce sont des gens très travailleurs, agriculteurs en majorité, et que les femmes parcourent de longs trajets à pied en portant sur le dos de lourds fagots de bois sans exprimer la moindre plainte.

Bien des Éthiopiens du nord ne veulent pas entendre parler de famine. Ils jugent même que cette étiquette que lui collent certaines ONG leur ferait plutôt du tort. Certes, ce n’est pas l’opulence et la vie est parfois bien dure, mais on ne meurt pas de faim et on s’en sort.

La sainte religion

Le christianisme omniprésent pourrait rappeler certaines pratiques musulmanes. Par exemple, vers les cinq heures du matin, les haut-parleurs de l’église la plus proche diffusent des messages d’incitation à la prière et à la lecture de la bible. Les chrétiens Éthiopie ont deux périodes de jeûne annuelles de 40 jours chacune, au cours desquelles, comme pour le ramadan, ils mangent seulement après le coucher du soleil. Enfin, devant chaque église, il faut retirer ses chaussures avant d’entrer.

Alors, entre l’islam et le christianisme, qui a copié qui? Selon Bernard Reymond, ex-doyen de la Faculté de théologie de Lausanne, les coutumes étaient ainsi du temps des premiers chrétiens, et l’islam aurait reproduit les habitudes chrétiennes d’origine. Il y aurait en moyenne vingt fêtes religieuses par mois, mais n’en déduisez pas que les Éthiopiens ne travaillent que les jours restants. Les fêtes ont lieu surtout la nuit (il fait plus frais).

Au marché de Lalibela

Le célèbre site mondialement réputé pour ses églises taillées dans le roc possède l’un des marchés les plus animés de tout le pays. L’entrée se fait depuis un chemin en pente qui offre une vue panoramique sur l’ensemble des étalages à perte de vue. Marché paysan, il est le reflet de la vie quotidienne, de la nourriture et des moyens d’existence de la population. Il est aussi un test de convivialité entre le visiteur, que j’étais, et les enfants, mendiant parfois (c’est de bonne guerre), mais qui utilisent aussi ce subterfuge pour établir un contact et montrer simplement au visiteur qu’ils existent.

«Bonjour, je m’appelle Hallié, dit ce bonhomme d’environ 10 ans s’exprimant dans un très bon anglais, et toi? Ah, tu viens d’Europe, je connais toutes les capitales! Pose-moi des questions!» Et moi de l’interroger avec amusement sur les noms de capitales en lui demandant les pays d’origine ou l’inverse. Avec surprise, il répond du tac au tac sur les grandes capitales connues. Je pousse un peu plus loin avec les villes de la Scandinavie et, là, encore, c’est un sans faute. Plus loin encore, et c’est bien normal, il trébuche sur les capitales de l’ancienne URSS et celles de l’ancienne Yougoslavie, mais peu importe, il est, comme il le prétend, en tête de sa classe à l’école. En chemin, il écarte les autres enfants de son âge qui voudraient bien prendre sa place: je suis «son client», il ne me lâchera pas jusqu’à mon départ. Il me décrit en détail tout ce qui se vend au marché: du sel brut, des épices, des céréales, des batteries de cuisine, des breloques, et … des bouteilles en plastique. Je trouve alors une explication au fait que, dans plusieurs villages, lors de notre traversée, certains enfants me réclamaient la bouteille d’eau capsulée qui ne me quittait jamais. Avaient-ils soif? Eh bien non, la chose qu’ils convoitaient était ma bouteille de plastique, vide de préférence. Au marché, ces bouteilles étaient étalées, prêtes à la vente pour en faire des récipients bon marchés.

Le lendemain, alors que je sortais de l’hôtel, un petit berger en tête de son troupeau m’interpela. J’avais oublié sa physionomie. C’était Hallié qui se rappela à son bon souvenir. Voulait-il me demander de l’argent? Non, simplement montrer aux autres enfants qui accompagnaient le troupeau qu’il me connaissait.

Un scribe d’aujourd’hui

A Axoum, j’ai eu le privilège de rencontrer Haïlo, un moine scribe, qui était en train d’exercer sa calligraphie sur des parchemins en peau de chèvre, un livre de quelque 300 pages sur la vie des saints, et dont 60% étaient des enluminures et des dessins de sa création.

Haïlo m’a raconté sa vie de moine-scribe entièrement consacrée à l’écriture de livres religieux, qu’il s’agisse de la Bible elle-même ou d’autres œuvres propres au culte orthodoxe. Si Haïlo doit, de temps à autre, contrôler les références de la vie des saints, il n’en est pas de même pour la Bible qu’il connaît sur le bout des doigts, de la Genèse à l’Apocalypse, l’ayant apprise dès sa première jeunesse.

Calligraphe depuis l’âge de dix ans (il en a 30 aujourd’hui), son écriture est une véritable oeuvre d’art.

Haïlo a à son actif environ 50 bibles de grand format qui sont toutes des pièces uniques, commandées par de riches familles qui souhaitent en faire cadeau à leurs églises respectives. L’argent va directement à l’église qui reverse à Haïlo son salaire pour le travail accompli. Son fils de 14 ans le suit comme son ombre et s’imprègne à son tour de la technique artistique de son père. Lui aussi consacrera sa vie à la vocation de prêtre-scribe.

Haïlo ira-t-il au Paradis pour tout l’immense travail qu’il a fourni? «Non, répond Haïlo, j’ai déjà été payé pour mon travail, il me faudra faire autre chose pour gagner le Paradis.»

Texte et photos Gérard Blanc

 

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