Saint-Malo, l’insoumise de Bretagne
Sur le littoral français de la Manche qui sépare la France de l’Angleterre, Saint-Malo, tout comme son voisin le Mont-Saint-Michel, fait partie du Patrimoine mondial de l’humanité répertorié par l’UNESCO, et représente l’un des plus beaux exemples français possédant un passé glorieux, en marge des autres villes bretonnes.
Il est difficile aujourd’hui de s’imaginer le Saint-Malo d’autrefois quand on voit toute cette étendue de quartiers modernes autour de la ville fortifiée, avec les villes composant son agglomération, comme Saint-Servan, Paramé ou Saint-Ideuc. C’est dans l’espace intramuros que résident toutes les légendes et faits historiques qui donnent à cette espace tout l’attrait que justifie l’intérêt de ses visiteurs. On l’appelle volontiers la « ville corsaire », car elle fut le port de départ des célèbres marins tels que Dugay-Trouin et Surcouf, qui furent, le premier mandaté par Louis XIV et le second par Napoléon 1er pour faire la chasse aux navires anglais et leur infliger le plus de dégâts possibles et s’emparer de leurs riches cargaisons en utilisant des méthodes inspirées de celles des pirates, visant à mettre à mal le commerce britannique sous toutes les latitudes et, principalement dans l’océan Indien. La comparaison avec les pirates et autres flibustiers s’arrêtera là, car le butin gagné était distribué en trois parts : un tiers pour la couronne de France, un tiers pour l’armateur du bateau et le reste pour l’équipage. A un officier anglais qui déclarait que les corsaires français se battaient pour l’argent et les Anglais pour l’honneur, Robert Surcouf lui répondit : « On se bat toujours pour ce qui nous manque le plus. » Sur les remparts de Saint-Malo, une statue du célèbre écumeur des mers trône selon une attitude qu’on imagine être à la tête de son équipage lors d’un abordage. A trente ans, il fut assez riche pour devenir armateur à son tour.
La ville insoumise
Mais ce qui caractérise aussi Saint-Malo est une certaine tendance à ne pas se soumettre aux autorités du moment. Cet esprit rebelle permanent a son meilleur exemple dans la tour « Quic en Groigne », partie du château, dont les travaux débutèrent au 16ème siècle sur l’ordre d’Anne de Bretagne. Les Malouins sentaient bien que le château qui se construisait serait là pour les surveiller. De plus, la « Duchesse en sabots » voulut, comme ses prédécesseurs, montrer aux Malouins qu’elle détenait le pouvoir tout en les obligeant à financer la construction du château. Ceux-ci, mécontents, vinrent en délégation montrer à la duchesse leur réprobation. Elle leur répondit en français de l’époque : « Quic en groigne (quiconque grogne), ainsy sera, c’est mon plaisir.» Aujourd’hui, le bagad (fanfare bretonne de binious, bombardes et percussions) porte le nom de Quic en Groigne (en mémoire de la déclaration) avec un bouledogue comme mascotte en tête du cortège. Sur le donjon du château flotte le drapeau français et le drapeau malouin. Tiens, pas de gwen ha du (blanc et noir) breton ? Ouf, il flotte aussi, mais sur la partie extérieure du château. Fait significatif, le drapeau de la ville se trouve au-dessus du drapeau national. Dans l’esprit des Malouins, c’est une manière de perpétuer l’acte d’insoumission qui suivit l’avènement du roi Henri IV, roi protestant, Saint-Malo étant profondément catholique. En 1588, les Malouins prirent d’assaut le château, tuèrent le gouverneur et déclarèrent la ville indépendante du royaume de France. Cette indépendance dura jusqu’en 1594, date à laquelle Henri IV abjura (« Paris vaut bien une messe »). Mais depuis cette époque, la devise de la ville est : « Ni Français, ni Breton, Malouin suis », et aussi « Malouin sûrement, Breton peut-être, Français s’il en reste.»
Saint-Suliac
L’embouchure de la Rance maritime, avec le climat parfois mitigé de la région, offre des lumières changeantes et contrastées à marée basse. A rappeler que cette embouchure est barrée par l’une des premières usines marémotrices. On découvre en bordure de la Rance des petits trésors, comme le village de Saint-Suliac, classé parmi les plus beaux villages de France et nommé ainsi par la visite d’un évangéliste du même nom, moine de l’évêché de Dol-de-Bretagne. Outre ses antécédents voués aux activités de tissage du lin et du chanvre, c’est aussi la pêche au long-cours qui fit sa richesse. Son port serait l’un des rares d’où partiraient encore aujourd’hui les fameux pêcheurs à la morue appelés terneuvas, alors que ceux de Saint-Malo ont abandonné cette activité. Il ne reste plus rien du monastère fondé par Saint-Suliac, et l’église, rebâtie au 12ème siècle, fut plusieurs fois détruite au gré des conflits normando-bretons et des guerres de Religion. Mais la flèche de l’église domine toujours les villages aux murs de granit, bordant des rues étroites appelées « ruettes ».
Remparts et ruelles
Passons la grande porte pour grimper en haut des remparts desquels on pourra admirer au large plusieurs forteresses construites par Vauban sur des îlots, dont au premier plan, le fort du Grand-Bé où fut enterré Chateaubriand, et plus loin, le Petit-Bé, la pointe de la Varde, le Fort national, le Grand-Bé, Fort Harbour, La Conchée, etc. Le but était de protéger Saint-Malo de l’attaque des Anglais et des Hollandais. A cette époque, la ville était devenue très riche, grâce à la pêche à la morue à Terre-Neuve, mais aussi grâce au commerce avec les comptoirs des colonies de l’océan Indien et fut de ce fait l’objet de bien des convoitises. Ces bastions sont actuellement rénovés par une équipe de bénévoles passionnés et grâce à des fonds privés.
Proche de la statue de Surcouf se trouve la Maison du Québec, en mémoire de Jacques Cartier, un autre Malouin célèbre dont le mandat fut de trouver une route maritime pour faire du commerce avec la Chine, mais dont le périple l’amena au Québec d’aujourd’hui. En descendant des remparts, on arrive dans les rues de la ville, riches en références historiques et en anecdotes cocasses, comme, par exemple, la rue du Chat-qui-danse en mémoire d’un bateau bourré de poudre qui devait arriver jusqu’aux remparts et détruire la ville, mais qui, finalement, échoua et explosa sur un îlot voisin. Les dégâts furent minimes et la seule victime fut un chat.Le commentaire des habitants fut « ils ne sont arrivés qu’à faire danser un chat.» On trouve aussi une statuette représentant le moine évangéliste gallois Mc Lauo qui, au fil des ans, fut canonisé sous le nom de Saint-Malo. Autre référence insolite : la rue du Gras mollet. Au Moyen-Age, 24 « chiens du guet » étaient lâchés à l’extérieur des remparts de la ville, après qu’aient sonné les cloches de la cathédrale Saint-Vincent à 22h00, prévenant les habitants de la proche fermeture des portes. Le but était de protéger les habitants, mais certains imprudents furent mordus au gras du mollet et d’autres furent carrément dévorés. Aujourd’hui, les cloches continuent à sonner à 22h00, mais les molosses ont disparu. Si les maisons à pan de bois étaient presque toutes debout jusqu’au 17ème siècle, il n’en restent presque plus aujourd’hui en raison d’un incendie qui en consuma la majorité en 1661. Les bombardements d’août 1944 ont achevé la destruction de la ville à 80%. La majorité des maisons et édifices que l’on voit aujourd’hui ont été reconstruits sur le modèle de ceux du 17ème siècle. On trouve pourtant encore quelques bâtiments d’origine dont le plus ancien est la Maison de la duchesse Anne, au 2, rue de la Houssaye, reconnaissable par sa tourelle et son balcon en bois.
Les ports
A l’ouest des remparts se trouvent les ports avec, en premier lieu, dans le bassin du Bouvet, celui des pêcheurs côtiers produisant chaque année 1500 tonnes de crustacés, de poissons nobles, de seiches et de coquillages dont, en grande partie, les coquilles Saint-Jacques. Tous ces produits sont vendus à la criée informatisée située sur le quai du Val.
Le long du quai Dugay-Trouin, proche de la porte Saint-Vincent, s’alignent les trois-mâts portant les noms prestigieux de l’Etoile du Roy, Le Français, l’Etoile de Modèle, la réplique du cotre corsaire du Renard (navire jadis commandé par Surcouf) et bien d’autres encore, histoire de faire travailler l’imagination des passants et les faire rêver de la voile hauturière des temps jadis. Tous ces navires sortent lors des grandes fêtes maritimes, à Brest, à Rouen ou à Bordeaux, mais aussi dans bien d’autres ports du monde comme Hambourg ou Amsterdam. N’oublions pas enfin les grandes compétitions de voile au départ de Saint-Malo, comme la célèbre Route du Rhum, mais aussi le Saint-Malo-Québec ou le raid des Corsaires.
Dinard d’Albion
A 10 km de là, la plage de Dinard nous plonge dans l’ambiance de villégiature britannique de la fin du 19ème siècle avec un mélange de styles mélangeant le cottage du Yorkshire, la villa italienne et le pavillon Louis XIII, le tout dans un esprit Belle Epoque avec des jardins exotiques. Pour ne pas déroger à l’esprit de la ville, celle-ci organise chaque année un festival de films britanniques.
Le cap Fréhel
Un autre clou de la région est le cap Fréhel. On y bénéficie, par temps clair, d’une superbe vue panoramique sur l’ensemble de la baie de Saint-Malo et, avec de la chance, on peut apercevoir les côtes des îles anglo-normandes. A courte distance au sud de la pointe du cap se dresse le fort de la Latte, château médiéval datant du 14ème siècle avec tout ce qu’on peut attendre d’une forteresse de l’époque (donjon, mâchicoulis, pont-levis, etc.). Le connétable Du Guesclin y laissa son empreinte à l’occasion d’un siège mémorable. A noter que des animations historiques y sont organisées en août avec force flûtes, contes, jongleurs, tournois, etc.
Gérard Banc et Erika Bodmer
Photos Gérard Blanc
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Infos pratiques
Renseignements
www.tourismebretagne.com, www.saint-malo-tourisme.com.
Hôtels
Les Charmettes, Quic en Groigne, Les Chiens du Guet, Hôtel France et Chateaubriand.
Restaurants
La gourmand’Ille, la crêperie du port, la brasserie du Sillon, les 7 Mers (gastronomique).