Genève : Si la Réforme m’était contée
Si Genève est appelée communément la ville de Calvin, la Réforme s’y est installée avant son arrivée, et d’autres réformateurs ont contribué à en faire l’un des principaux centres de la foi protestante. Un parcours initiatique dans les rues du Vieux Genève vous permettra de découvrir les détours historiques d’une cité où la messe catholique était jadis interdite.
Certains auraient aussi tendance à baptiser la ville du bout du lac Léman la « Rome protestante », comme s’il pouvait y avoir un gouvernement de l’église réformée sur le modèle de celui du Vatican. » A préciser que ce concept n’a pas cours dans la confession protestante. Mais parcourons les rues de la vielle ville et découvrons les lieux qui en firent son histoire avec, au passage, quelques anecdotes qui lui donnent du sel.
La cathédrale Saint-Pierre
La Réforme et les réformateurs ont donné à Genève leurs marques indélébiles et forgé son histoire du 16ème au 21ème siècle. C’est par l’église Saint-Pierre qu’il faut débuter l’apprentissage de la saga protestante de son vieux quartier, car elle représente le symbole même de l’instauration du culte protestant dans la République de Genève. Surplombant Genève du haut de la colline de la vieille ville, elle mélange les styles roman et gothique. Lors de l’avènement de la Réforme en 1535, elle porta définitivement le nom de temple de Saint-Pierre et fut dépouillée de tous les ornements catholiques qu’elle contenait, y compris les fresques qui ont été grattées. Heureusement, celles du plafond n’ont été que recouvertes du peintures et il a été possible de les récupérer. Au passage, si vous grimpez les 157 marches qui mènent au sommet de sa flèche, vous aurez une vue exceptionnelle de Genève et de sa rade.
Si le Duc de Savoie, après avoir été éjecté de son siège de prince-évêque et s’être réfugié à Annecy, voulait à tous prix reconquérir Genève, mais le roi de France, François 1er, se méfiait des ambitions du duc de Savoie qui prenait trop d’importance territoriale, militaire et financière. Le roi préféra envoyer un « conseiller » dans cette république bizarre, qui se démarquait de la royauté. Ce dernier transforma une petite salle annexe de la cathédrale en chapelle pour, timidement, y dire des messes. Il fut rapidement réprimandé par le gouvernement genevois qui lui rappela que les messes étaient en principe interdites mais qu’il pourrait fermer les yeux si elles restaient discrètes. Un jour où le conseiller voulu passer outre, les habitants de Genève se réunirent derrière les murs de la cathédrale et firent un tel tintamarre que la messe dût s’interrompre. Un autre jour, le conseiller passa outre en voulant inviter les notables genevois à une messe en grande pompe, le Conseil municipal genevois n’ouvra simplement pas les portes de la cathédrale et les invités restèrent dehors. Lors de la séparation de l’église et de l’Etat en 1907, la cathédrale devint la propriété de l’Eglise protestante de Genève.
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En 1411, le théologien tchèque Jan Hus, précurseur de la Réforme, est excommunié par l’église catholique pour ses théories réformatrices. Le concile de Trente le convoque en 1415, et le condamne pour hérésie au supplice du bûcher. Un siècle plus tard, Martin Luther fait un pèlerinage à Rome. Il constate le commerce éhonté des indulgences, moyen pour l’église d’accumuler des richesses en absolvant moyennant finance, les fautes des nobles et des bourgeois. Profondément choqué, il rentre en Allemagne et, donne le départ du mouvement réformateur. Deux ans plus tard, le gouvernement zurichois mandate Zwingli pour introduire la réforme en Suisse. Il meurt au cours de la seconde guerre de Kappel, menée par les armées des cantons catholiques, mais, entretemps, il avait déjà institutionnalisé l’église réformée avec ses principes fondamentaux en mettant en place en 1523 une liturgie plus proche des Ecritures, en abandonnant la croyance en l’immaculée conception de la Vierge, en instituant la Sainte-Cène comme un mémorial et non comme le corps réel du Christ, et en changeant le sacrement du baptême en un symbole.
La réforme, fut ensuite instaurée à Bâle et à Berne. Les familles bourgeoises de Genève commencent à s’intéresser à la Réforme et à vouloir y adhérer. A cette époque, Genève était gouvernée par le prince-évêque Jean de Savoie, membre de la Maison de Savoie, qui détenait les actuels deux départements de la Savoie, mais aussi le canton de Vaud, la Bresse, le Val d’Aoste, le Piémont et la Sardaigne. Il n’avait néanmoins que peu de pouvoir sur les familles bourgeoises patriciennes de la ville. En 1524, le réformateur français Guillaume Farel prêcha la Réforme à Aigle, Lausanne, Orbe, Yverdon et Neuchâtel pour finir à Genève. Le 11 août 1535, date à laquelle Genève adopte officiellement la doctrine protestante, Farel persuade Jean Calvin de venir s’installer à Genève. Après le départ précipité de Jean de Savoie pour Annecy, Genève renforce les fortifications de la ville. Le prince-abbé mène de nombreux sièges de Genève mais aucun ne réussit. L’un d’entre eux fut la fameuse « escalade » de Genève donnant lieu à des célébrations annuelles, dont la fameuse marmite de la Mère Royaume qui, d’après la légende, contribua à repousser les assaillants. A partir de ce moment, Genève est à 100% protestante et aucune messe ni autr4es célébration catholique n’y furent autorisées. Pour ouvrir un commerce, un atelier ou même avoir le droit de vote, il fallait être inscrit dans une paroisse protestante. Le culte réformé demeure le seul culte autorisé pendant trois siècles. En 1846 la grande révolution contre le Sonderbund (coalition de sept cantons catholiques) donne la naissance à un nouveau parti politique portant le nom de Parti radical. Il s’agit d’une ligue de petits commerçants et d’artisans. Il prend le pouvoir et place James Fazy à sa tête. C’est à cette époque que fut introduite la liberté de culte. L’église catholique put dès lors exercer son culte, au même titre que les églises orthodoxe et israélite, et, plus tard, les religions musulmane et autres.
Le Collège Calvin
Avant la Réforme, des mécènes avaient déjà ouvert des écoles protestantes. En 1536, le Grand conseil genevois vote une loi rendant l’école obligatoire et selon le concept de la Réforme. C’est dans le bâtiment qui porte aujourd’hui le nom de Collège Calvin que fut ouverte la première école protestante pour les garçons de 7 à 15 ans. Il y avait 6 jours d’école, 10 heures par jour et le dimanche matin était consacré au culte. Les classes étaient de 60 élèves. Quand Jean Calvin est arrivé à Genève, il a compris que ce collège pouvait être une bonne école pour former des pasteurs. Il a alors ouvert l’Académie en 1559. A l’issue de la première année, 164 pasteurs étaient formés, dont seulement 4 étaient des Genevois. Rameutant les élèves pasteurs de toute l’Europe, Calvin aurait dit : « Envoyez-nous des bois et nous en ferons des flèches.» Aujourd’hui, si vous voulez étudier la théologie à Genève, ça se fera automatiquement dans la confession protestante. Pour instruire les pasteurs en herbe, Calvin avait fait appel au latiniste Théodore de Bèze qui est devenu le recteur de la Faculté de théologie de Genève. Un autre théologien du collège fut John Knox, réformateur écossais, qui publia The Geneva Bible .
L’une des rues basses de Genève portait le nom de « rue des Allemands », référence à ceux qui avaient apporté le protestantisme de Luther. Dès son arrivée à Genève en 1536, Calvin désapprouva la doctrine luthérienne. Il accusait Luther de n’avoir fait que la moitié de la réforme surtout en considérant que le luthéranisme gardait toujours le principe, lors de la Sainte-Cène, de la transsubstantiation (transformation du pain en corps du christ et du vin en sang du Christ). Du temps de Calvin, les Luthériens de Genève étaient tolérés mais n’avaient pas le droit de célébrer un culte. 200 ans plus tard, les Luthériens eurent enfin le droit d’avoir un temple, à condition qu’il ne ressemble pas à une église vu de l’extérieur et, évidemment, sans clocher. On trouve au 20, rue Verdaine, près de la place Bourg-de-Four, l’église luthérienne de Genève inaugurée en 1762, une communauté toujours très active aujourd’hui.
Palais de justice
En remontant la rue Bourg-de-Four, on trouve sur la gauche la porte d’entrée du Palais de Justice qui a jadis été occupé par un couvent de Clarisses jusqu’à ce que la Réforme débarque à Genève et oblige les nonnes à partir dans la panique. Le bâtiment fut ensuite transformé en hôpital qui servait à guérir les malades, mais aussi à héberger les pauvres, fonction très approuvée par Calvin, et parmi lesquels se trouvaient des réfugiés venus de France lors des guerres de religion. C’est en 1710 que le bâtiment fut attribué à la justice genevoise.
Place Bourg-de-Four
On l’appelle le « nombril de Genève ». « Four » voulait alors dire forum. Ce nom remonte au temps où la tribu des Allobroges venus de Vienne avait envahi la Suisse, avant l’arrivée des Romains. Ils avaient alors bâti, là où se trouve aujourd’hui le vieux Genève, une petite ville fortifiée. Son centre servait de marché, preuve en sont les résultats de fouilles qui ont permis de découvrir une ancienne halle de marché dans laquelle on se rencontrait et on palabrait. Cela fait 2’300 ans qu’on y tient toujours un marché sans discontinuer. En 122 avant JC, les Romains arrivent et soumettent les Allobroges. Ils vécurent en paix sous domination romaine pendant 500 ans.
Le Mur des Réformateurs
Ce site est l’un des plus visités de Genève. Sur un pan de mur du parc des Bastions des bas-reliefs représentent les figures emblématiques des débuts de la Réforme. On y trouve en premier lieu les quatre grands que furent Guillaume Farel (initiateur du protestantisme en Suisse romande), Jean Calvin (portant une livre de base du protestantisme : l’Institution religieuse chrétienne), Théodore de Bèze (théologien traducteur de la Bible) et John Knox (créateur de l’église presbytérienne écossaise). Pas de trace de Zwingli, ni de Luther. On y trouve, par contre, l’amiral de Coligny, figure de proue des Huguenots français ; Guillaume d’Orange, dit le Taciturne, libérateur des Pays-Bas de la domination espagnole ; Frédéric-Guillaume de Brandebourg, protecteur des réfugiés huguenots en Allemagne ; Roger Williams, théologien du courant nord-américain baptiste ; Oliver Cromwell, persécuteur des catholiques en Irlande et en Ecosse, et Etienne Bocskay, noble hongrois protestant et meneur de l’insurrection contre les Habsbourgs. Evidemment, pas question de Luther, dont les doctrines étaient réfutées par Calvin et autres réformateurs de la seconde génération.
Calvin et Genève
Après avoir publié l’Institution religieuse chrétienne à Bâle, puis à Ferrara près de Venise, Calvin remonte vers le nord pour se rendre à Strasbourg. Une guerre entre la France et l’Allemagne l’oblige à faire un détour et arrive par hasard à Genève avec le projet de n’y rester qu’une nuit. Il en profita pour rencontrer Farel qui le persuada de rester à Genève. C’est ainsi que les deux réformateurs, avec leur 20 ans d’âge de différence, introduisirent fermement la Réforme à Genève avec des règles très rigoristes, similaires à celles composées par les talibans en Afghanistan. Interdiction de porter de jolies coiffures, de jolis habits, pas de bijoux. Il était interdit de danser, de faire d’autres musiques que la musique d’église et de boire trop de vin. Par contre, la montre était recommandée parce que à Genève vivait toute une corporation d’horlogers français qui étaient des réfugiés huguenots ce qui fait que Genève est devenue le berceau de l’horlogerie de luxe d’aujourd’hui. Calvin disait : « Achetez des montres, vous ne manquerez pas l’heure du culte ! ». Après quelques années passées à Strasbourg, Calvin fut rappelé à Genève par ses notables et habitat au 4 de la rue Jean-Calvin où il mourut à l’âge de 64 ans.
Texte Gérard Blanc
Photos Gérard Blanc (sauf © Geneve Tourisme)
L’escalade
Au cours du week-end le plus proche du 11-12 décembre, Genève fête chaque année l’Escalade qui s’apparente à la résistance des Genevois contre les assauts des Savoyards menés par le duc Charles Emmanuel de Savoie, qui souhaitait rendre Genève au catholicisme, mais n’y est pas parvenu. Les célébrations de cet événement sont nombreuses, dont l’un des plus grands cortèges historiques aux flambeaux en début de soirée et, le lendemain, la « course de l’Escalade » un semi-marathon qui se déroule une semaine avant dans les rues de Genève. N’oublions pas non plus la fameuses marmite en chocolat et ses légumes en massepain qui symbolisent un pot-au-feu qu’avait cuisiné la « Mère royaume » et qu’elle avait jeté à la tête des assaillants. La tradition veut, qu’en groupe ou en famille, avec un grand couteau ou mieux, un sabre, on casse cette marmite en chocolat avec le slogan séculaire : « Ainsi périrent les ennemis de la République ! », suivi de « Ce n’est pas le moment de mollir ! ».
A voir encore
Le temple de la Madeleine où le dissident Michel Servet, qui contestait le principe de la Trinité, et vint provoquer Calvin lors de l’un de ses cultes et fut capturé, emprisonné puis brûlé sur un bûcher, condamné par le justice de Genève ; la Maison Tavel et son musée d’art et d’histoire ; proche de la cathédrale, la place de la Taconnerie, ses vieille façade et l’Auditoire de Calvin ; le Musée International de la Réforme rue du Cloître.
Ce reportage a été rendu possible grâce au guidage de M. Ariel Haemmerlé : alpi.haemmerle@sunrise.ch