Almaty, la ville kazakh des pommes et des montagnes
Nous sommes dans la seconde ville la plus importante du Kazakhstan après la capitale Astana, dans un pays dont on parle peu en Europe et qui, pourtant, possède une histoire riche en péripéties et une actualité pleine de rebondissement. Mais jetez d’abord un coup d’œil sur un planisphère et vous constaterez que ce pays qui est cinq fois aussi grand que la France, soit 62 fois la taille de la Suisse.
Comment imaginer le Kazakhstan de notre vision béotienne des anciennes républiques soviétiques, au bout là-bas vers l’Est ? Bien des préjugés et des amalgames pourraient donner une vision diamétralement opposée à ce qu’est ce pays en plein essor et à la fois riche en histoire. On y découvre un peuple accueillant, aimant faire la fête et très curieux de ce qui se fait ailleurs après avoir été longtemps frustré de connaître le monde, tant qu’à la période des colonisations tsaristes qu’à l’époque soviétique. Contrairement à une certaine brusquerie russe, les Kazakhs d’Almaty, gens du sud, auront vis-à-vis de l’étranger une approche plutôt diplomatique et courtoise.
Il semblerait que son indépendance de 1991 (l’une des dernières des républiques soviétiques à la déclarer) lui a donné des ailes, bien sûr grâce à ses importantes ressources en pétrole qui lui ont donné une confortable assise économique, mais aussi et, surtout, pour le sentiment de pouvoir faire ce qu’on veut quand on veut et d’avoir plusieurs cordes à son arc, dont, aujourd’hui, l’agriculture, l’élevage des chevaux, et, tout récemment, le tourisme qui augmente d’une manière spectaculaire avec une progression de 15% entre 2016 et 2017. Si la clientèle russe et chinoise est dominante, le pays lorgne sur l’Europe occidentale qui pourrait s’intéresser davantage à la culture du pays, à l’inverse des amateurs de salons de casinos venus de Russie ou de Turquie. Sa position stratégique sur la route de la soie en fait déjà une étape privilégiée des amateurs de petits circuits culturels, mais il faudrait maintenant passer la vitesse supérieure en mettant en avant tout un patrimoine culturel qui ne demande qu’à se faire valoir.
Un peu d’histoire
Avant Jésus Christ, le Kazakhstan d’aujourd’hui était peuplé par les Saces et les Kiptchacks. Ils portaient des chapeaux pointus, avaient les yeux bridés et étaient turcophones, au même titre d’ailleurs que les Turkmènes, les Azéris, les Tatares, les Kirghizes, les Ouzbeks, etc. Les Kiptchaks partirent vers la Hongrie et la Pologne en laissant au Kazakhstan des textes en langue kiptchak et en langue arménienne. Puis, les Mongols débarquèrent. Ce fut l’époque mongole et il s’opéra un mélange linguistique et ethnique. Au 15ème siècle arrivèrent les kazakhs d’origine turco-mongole divisés en trois hordes militaires. La plus grande s’établit dans la région d’Almaty. Deux rois Kazakhs créent alors un royaume. Au 18ème siècle, les hordes Kazakhs firent appel à l’empire russe pour résister aux invasions des Djoungars et ils apprécièrent cette protection. L’empire russe en profita pour imprimer son système administratif et investit la ville jusqu’au pouvoir bolchévique qui en prit la suite. C’est à cette époque que la ville troqua son nom pour Alma Ata, alias Almaty, qui signifie le « petit père des pommes ». Aujourd’hui, le Kazakhstan est composé de 130 ethnies, dont les deux principales sont les Kazakhs (75%) sont des Kazakhs et les Russes (20%) et de multiples minorités telles que Cosaques, Tatares, Ouïghours, Ukrainiens, Biélorusses, Allemands, Coréens, Tchétchènes, Ouzbeks, Chinois, etc. Une grande partie est de confession musulmane, mais 25% sont orthodoxes. Mal aimés et persécutés par le gouvernement chinois comme éléments perturbateurs, les Ouïghours de religion musulmane passent de plus en plus la frontière chinoise pour s’établir au Kazakhstan à environ 400 km d’Almaty et y créer des villages où ils se consacrent à la culture maraîchère. Cosaques ou Kazakhs? Le mot appartient à la même origine, car dans les deux sens, il veut dire « hommes libres », mais les Cosaques étaient des serfs russes révoltés ayant eu des bases en Ukraine et au sud de la Russie. Ils furent les premiers colons russes au Kazakhstan et il reste encore de leurs descendants aux environs de la capitale Astana et à Getisu proche d’Almaty. Jusqu’en 1980, les Russes composaient la population dominante, les Kazakhs n’occupant que 10% de la population et se trouvant relégués principalement hors des villes. A partir de la fin des années 80 s’installa alors une sorte d’exode rurale vers les grandes agglomérations. La population urbaine d’Almaty est aujourd’hui composée d’environ 60% de Kazakhs.
Les héros
Abilkhan Kasteev, peintre de plus de mille tableaux illustrant la vie kazakhe, dont certains sont exposées au Musée d’art contemporain d’Almaty ; le poète Abaï Kounanbaïouly, considéré comme le Pouchkine du Kazakhstan, et le père de sa littérature et avec lui plusieurs dissidents intellectuels ayant résisté au régime staliniste. Les statues de Lénine, Marx et Staline n’ont pas été détruites, mais ont été déplacées dans un parc de banlieue.
Le petit frère du Grand Canyon
Après être sorti de la route goudronnée pour emprunter une piste sur 12 km apparaît le fabuleux canyon de Tcharyn, appelé aussi canyon de châteaux pour les formes sculptées par une érosion de douze millions d’années par le vent et l’eau. Le promeneur descendra la vallée longue de trois kilomètres qu’îl est possible de parcourir en quarante minutes d’un bon pas. Il faut plus d’une heure pour la remonter. En cas de fatigue, des bus-navettes gratuites sont mises à disposition pour retourner au point de départ.
Tour de ville
A l’ origine, Almaty était la capitale du Kazakhstan jusqu’à la période de la Perestroïka de Gorbatchev. En 1993, il fut décidé que le centre administratif du pays serait transféré à Astana pour de multiples raisons, dont son environnement sismique, mais surtout en raison de la surface limitée freinant la possibilité d’expansion en raison des montagnes environnantes, à l’inverse d’Astana qui se trouve dans une région de steppes à l’espace illimité. Ce qui caractérise Almaty est d’abord son environnement montagneux, avec à proximité des sommets pouvant atteindre jusqu’à 4’900 mètres d’altitude, d’où une vocation pour les sports de montagne, en hiver avec des stations de ski se rapprochant de celles de la Suisse, de la France ou de l’Autriche et dont la ville d’Almaty est particulièrement fière et, en été, les randonnées et l’escalade. Ne serait-ce que depuis le centre d’Almaty, il est déjà possible d’emprunter une télécabine d’environ 700 mètres jusqu’au parc de Kok-Tobe d’où on bénéficie d’une vue panoramique sur l’ensemble de la ville permettant de constater que celle-ci a été construite en damier sur les modèle romain ou nord-américain. On doit partiellement cet urbanisme à l’architecte Paul Gourdet qui, en 1875, vint s’installer à Almaty pour y prendre la nationalité russe et porter le nom de Pavlov Vasilievitch Gourdet. Il fut l’un des deux concepteurs de celle qui, à l’époque, portait le nom de Verny en tant que cité tsariste avant de s’appeler Almaty. Si on ne trouve plus beaucoup d’édifices qui puissent lui être encore attribués, hormis la cathédrale de l’Ascension, l’église de Pokrovskaya ou encore l’actuel marché vert, il conserve néanmoins la paternité de l’amplitude des avenues, dont l’avenue Dostyk où se trouve aujourd’hui un quartier ultra-moderne qu’on pourrait comparer à celui de la Défense de Paris avec ses tours vitrées. Le Quartier soviétique témoigne d’une époque pas trop lointaine et fait la part belle à des maisons qu’on qualifie de « brejneviennes ». Mais, au grand dam des communautés russes qui y vivent encore, la période soviétique est une page tournée et c’est le retour aux valeurs du pays et de ses héros, anciens ou nouveaux. Le métro et ses rames sud-coréennes qui a ouvert ses portes en 2011 avec ses neuf stations est l’un des signes de cette nouvelle évolution voulue par le gouvernement. La sécurité et la propreté des rues dans la ville d’Almaty sont aussi des priorités. Une jeune fille peut rentrer chez elle au milieu de la nuit sans crainte d’agression, et on ne trouve pas le moindre détritus sur le pavé ou dans les caniveaux. Pourtant, la police (en uniforme en tout cas) est rarement visible. Si elle vous attrape à jeter un papier par terre il vous coûtera 10’000 tenges (29 CHF), ce qui représente une note salée pour un salaire local. Phénomène intéressant de la sortie du régime soviétique, de nombreuses rues ont été rebaptisées en l’honneur des écrivains, poètes et autres personnalités kazakhes, remplaçant les Staline, Lénine ou Karl Marx. Par contre, des noms tels que les écrivains Gogol ou Gorki ont été conservés. La rue des Communistes a, par exemple pris le nom de rue d’Ablai Khan, ancien roi kazakh. Du crépuscule au petit matin, la rue piétonnière de Zhibek Zholy ne désemplit pas en été. C’est le lieu favori des promenades pour les bandes des jeunes, les familles et les copains au milieu des néons de bars et de discothèques. De jour ce sont les enseignes des grandes marques qui sont présentes, prouvant qu’Almaty n’est pas étrangère à la globalisation. Si les tags sont autorisés, ils sont réglementés, et les projets doivent être préalablement soumis aux autorités. Cela peut donner des merveilles comme, par exemple, la superbe fresque d’une panthère des neiges géantes dans le quartier de Zhibek Zholy.
Le marché vert
Construit en 1875, ce marché couvert fut construit sous l’initiative Paul Gourdet, puis détruit et reconstruit de couleur verte un siècle plus tard, d’où son nom de marché vert pour sa vocation première de vente de légumes et de fruits. Seule une fontaine reste le témoignage de l’architecte du bourguignon-Kakazh. Comme partout ailleurs, c’est au marché qu’on apprend beaucoup sur la vie alimentaire d’un pays. C’est là aussi qu’on prend conscience du mélange ethnique du pays mi-asiatique, mi-caucasien.
Coutumes, traditions et chamanisme
A 30km d’Almaty, le Village des Huns est une étape intéressante, car elle met à jour les traditions kazakhes. Mais alors, les Huns auraient-ils été ceux qui sont devenus les Kazakhs plus tard ? Mêmes si les Kazakhs d’aujourd’hui sont assez évasifs et même s’ils semblent ne pas connaître le fameux Attila, il doit quand même y avoir une certaine apparenté avec cette horde (encore une) d’origine turco-mongole (nous y sommes) et donc, ce village n’est pas nommé ainsi par hasard. Ce lieu bien ficelé en matière de parc d’attractions avec une animation bon enfant assurée par des familles entières habitant sur place, donne une bonne image des usages ancestraux des ancêtres des Kazakhs à commencer par leur cuisine (avec les fameux beignets et le lait fermenté de jument cher aux nomades), les yourtes, les costumes somptueux, et les cavaliers et leurs luttes à cheval. On y apprend aussi bien des usages comme, par exemple, la fabrication du feutre, mais aussi des pratiques chamaniques avec deux représentants « têtes rouges » et leur médecine parallèle bannie à l’époque soviétique et qui revient en force de nos jours. L’animation du Village des Huns comporte aussi des luttes entre cavaliers évoquant le kokbar, l’équivalent du buchkashi un sport équestre violent qui se pratique en Afghanistan.
En souvenir des héros
Parmi les nombreux parcs verdoyants, il en est un qui porte le nom du parc anciennement Pouchkine, baptisé ensuite en l’honneur du général Panfilov, résident d’Almaty, comme ses 28 tireurs qui moururent en résistant à l’avance des troupes nazies qui se dirigeaient vers Moscou. Un mausolée de style très emphatique cher aux soviétiques leur a été construit. C’est dans ce même parc que se dresse la majestueuse cathédrale orthodoxe de l’Ascension, dont la première mouture fut construite en bois sans l’utilisation du moindre clou. La seconde fut reconstruite par le fameux Paul Gourdet.
Le musée Kasteyev
Parmi les ambitions d’Almaty, il y a celle de faire revivre l’artisanat et l’art local bien souvent ignoré, voire banni par le régime soviétique. Bien des projets voient le jour, comme celui du musée Abilkhan Kasteyev où toute une formation à l’artisanat et d’art local est assurée par une équipe enthousiaste qui ne ménage pas ses efforts pour donner le goût et l’envie à une armée de jeunes Kazakhs qui suivent des stages de trois mois. On y apprend l’art de fabriquer (parfois dans un style plutôt design) des bijoux, des tissus, des vêtements, du patchwork, des harnachements de chevaux, etc. A noter aussi la fabrication du feutre, une pratique ancestrale kazakhe avec de la laine mérinos servant notamment à la fabrication des yourtes.
Gérard Blanc, texte et photos
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Infos pratiques
Renseignements
visitkazakhstan.kz/en
Spécialités
Des mantys (raviolis fourrés à la viande de mouton et aux potirons), le tchak-tchak, sorte de petites pâtisseries sucrées à base de pâte hachée (d’où l’onomatopée).
Restaurants
Le Kishlak (cuisine typique kazakhe), le Lanzhou (cuisine ouverte spectaculaire pour la fabrication acrobatique des pâtes).
Musées
Le Musée d’art contemporain dans lequel on trouve la représentation d’une yourte traditionnelle et une exposition de tout ce qui concerne l’équitation et la culture du cheval, vieille tradition kazakhe.
Recommandation
Les Kazakhs, dans leur majorité, parlent peu de langues étrangères, hormis le russe. Une visite du pays est donc préférable en groupes accompagnés ou avec un guide local. Utiliser les transports en commun est une chose possible, mais nécessite de s’informer à l’avance sur les prix des billets et leurs achats car, sur place, c’est l’écriture cyrillique qui domine. Il existe des cartes de prépaiement qu’on peut remplir à l’avance et qui sont très utiles pour payer, par exemple, des titres de transport.