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Touristes, si vous saviez...
BRÈVES

L’invasion des villes européennes

Barcelone, Venise, Paris, Florence: toutes dans le même bain … de foules

Les tags inamicaux et les manifestations s’accumulent. Ils témoignent d’un ras-le-bol de la part des habitants d’une quantité grandissante de villes européennes qui en subissent le déferlement quotidien de millions de visiteurs.

Cela tourne à la tourismophobie. Ce phénomène majeur à prendre en compte dans le principe même de l’idéal touristique qui voudrait que le tourisme soit, entre autres, un vecteur d’échanges entre les peuples. Dans le cas présent, c’est tout sauf cet idéal. Il suffit de voir les photos sur Internet pour se rendre compte du coude-à-coude dans les Ramblas de Barcelone, la place Saint-Pierre à Rome, la place Saint-Marc à Venise ou encore aux pieds de la tour Eiffel à Paris. Sans parler de Dubrovnik, de Gérone ou de Majorque. Partout, les populations des villes concernées ont un seul mot à la bouche: «Nous ne voulons pas devenir des parcs d’attractions!». Les choses ne s’arrangent pas et la progression semble irrémédiable.

C’est sur le «  touriste  » que se déverse l’inimitié des habitants des villes incriminées et, pourtant, il n’en est pas vraiment responsable. Ainsi l’a décrit l’anthropologue Jean-Didier Urbain au cours du dernier salon professionnel du tourisme IFTM à Paris. Il est, en fait un élément qui intervient dans une gigantesque machine commerciale avec, d’un côté, des personnes qui s’enrichissent et de l’autre, celles qui achètent et subissent. C’est, comme le nomme Jean-Didier Urbain, une « prolétarisation accompagnée d’une marginalisation » et qui devient peu à peu un intrus indésirable. Cela provoque des réactions en chaîne avec des populations urbaines dont les réactions dépassent une exaspération, parfois au premier degré en mettant tous les touristes mis dans le même panier.

Récemment, la ville de Venise réagissait à l’invasion de touristes provenant des grands bateaux de croisières. On aurait parfois tendance à oublier les autres villes qui en sont également victimes. Florence, Pise et l’île de Cinque Terre sont aujourd’hui d’autres exemples cuisants d’excursions organisées depuis les gros bateaux de croisières, déversant des flots de touristes depuis les escales de Livourne ou de La Spezia. Comme l’a titré avec humour “Libération”, les habitants de ces villes ne veulent plus être des « cages aux foules » et cherchent des portes de sortie pour éviter les « pilleurs de sites » qui visitent la ville en quelques heures.

Airbnb : Dans la même lignée que les phénomènes Uber ou de Ryanair, le principe de paupérisation des produits touristique (pour les employés qui assurent le service) s’étend aux locations d’appartements avec Airbnb par l’intermédiaire de particuliers. Le phénomène que nous venons de décrire court-circuite les marchés en contournant les règles et les taxes établies par les gouvernements. Le boom des locations saisonnières par cet organisme peut se définir comme une forme de pollution touristique en faisant grimper les prix de l’immobilier en évinçant de certains quartiers les classes populaires et moyennes, analyse Didier Arino, directeur de Protourisme qui s’intéresse de près à l’évolution de cette économie et cherche à en anticiper les facteurs.

Que faire ? L’anthropologue Saskia Cousin estime que la solution ne peut être d’interdire des formules qui répondent à des besoins réels des familles de passer des vacances à des tarifs abordables. Elle estime que cette question devrait être entre les mains des pouvoirs politiques qui devraient mettre bon ordre dans l’inadéquation qui s’est peu à peu installée dans le système hôtelier. Son avis est que, mis à part les gains que rapporte le tourisme, les politiques ne devraient pas ignorer le bien-être des habitants. Il est donc urgent de couper court à cette vague d’intolérance en mettant en place une politique publique d’encadrement et de gestion des masses. Une sélection par l’argent ? Les municipalités s’interrogent sur les façons de ne pas pour autant interdire le tourisme, mais de rechercher un tourisme plus qualitatif en le limitant et en le canalisant. Mais comment faire ?

A Florence, l’administration communale et son office du tourisme et des congrès (avec le maire Nardella en tête) ont mis en route un programme visant à attirer une clientèle de plus haute qualité, différente des masses actuelles dont les objectifs de visites ne peuvent dépasser bien souvent que quelques heures sur place. En fait, les deux premiers objectifs sont de développer un tourisme qualitatif s’adressant à des visiteurs ayant un plus grand pouvoir d’achat et restant dans la ville plus longtemps. De toute évidence, cela exclura les excursions en provenance des grands bateaux de croisière. Outre d’autres arguments relevant du marketing et de la promotion visant à rehausser les images de marque auprès du public international, il en est un autre de taille : prévenir les attitudes parfois irrespectueuses des visiteurs, ce qui n’est pas une mince affaire.

Quels outils ? L’intention est d’abord d’atteindre et de sélectionner les voyagistes en fonction de leurs clientèles au cours d’expositions professionnelles internationales du tourisme. La seconde méthode sera de concentrer ses efforts notamment auprès des publics de l’Amérique du Nord, de l’Allemagne et des pays de l’Europe du nord. Si les autres destinations victimes de tourisme de masse en faisaient autant, serait-on alors en train de nous diriger vers un tourisme qui se limiterait au porte-monnaie ? Irait-on alors en marche arrière par rapport à la démocratisation du tourisme ? Voilà une grande question qui ne risque pas d’en rester là, mettant en cause non seulement l’expansion débridée du tourisme de croisières mais aussi, par exemple, celui des compagnies aériennes lowcost et de l’immobilier touristique anarchique.

Vers une décélération ? Un article du quotidien “Libération” fait état des inquiétudes de Barcelone. C’est la première à parier ouvertement sur «la décroissance touristique». Et, pourtant, ce secteur correspond à 12 % de la richesse municipale; pour une population dépassant le million et demi d’habitants, le tourisme représente plus de huit millions de visiteurs et 20 millions de nuitées hôtelières (sans parler de tous les services annexes, restaurants, cafés, boutiques, etc.). Plus encore, ces chiffres n’incluent ni les touristes de croisière ni les excursionnistes d’un jour. Ancienne militante du droit au logement, Ada Colau, maire de Barcelone, a dès son arrivée aux commandes de la municipalité en juin 2015 décrété un moratoire sur les logements touristiques, un pas vers la décroissance touristique. Elle vient d’en faire un second en déclarant sa volonté de contenir le développement irraisonné de l’offre destinée aux visiteurs. Si Barcelone compte environ 10’0000 logements légaux, deux fois plus sont illégaux. Avec 466 hôtels (contre 187 au début des années 2000) et Airbnb, qui propose plus de 75’000 appartements de vacances, on imagine le gigantisme du parc hôtelier de la ville catalane.

Ces actions municipales pour le sauvetage de quartiers contre la construction de nouveaux hôtels, ne sont, on s’en doute, pas du goût des chaînes hôtelières qui ne manquent pas de réagir en brandissant des menaces de poursuites judiciaires pour des retards injustifiés. Une des grandes lacunes de Barcelone (et d’autres villes également) est une insécurité juridique qui empêche, bien souvent, les municipalités de se défendre contre le buldozer immobilier. C’est donc, en premier lieu, Airbnb et sa concurrente Homeway qui sont dans le collimateur de la mairie de Barcelone qui, en novembre 2016, leur a infligé une amende inédite de 600 000 euros pour ne pas avoir déclaré une bonne partie des appartements loués. Si Airbnb estime que ce n’est pas la première fois qu’une telle sanction leur a été administrée, l’organisme devrait anticiper des réactions équivalentes dans d’autres villes d’Europe qui ne manqueront pas de réagir à leur tour.

 

Gérard Blanc

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